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savoir, ébloui, fasciné par la grande fortune. Jacques Lenoël assista à ce sacrifice ; la jeune fille s’y prêta, soumise aveuglément à son père.

Peu à peu cependant elle connut le regret de sa vie engagée dans des liens déplorables. Un jour, le hasard les réunit, ils s’expliquèrent, et bientôt Germaine tombait dans les bras de Jacques.

Ce fut alors entre eux une de ces passions où conspirent toute l’ardeur des sens, tous les rêves de l’imagination.

Elle était séduisante infiniment, spirituelle, d’âme audacieuse et libre ; lui, que déjà l’on nommait « le beau Lenoël », avait ce charme prenant, ce don de parole qui devait subjuguer tant de cœurs. Ils s’aimèrent follement. Leur liaison dura près de trois ans ; puis le mari fut averti, ne put douter de son malheur. Comme elle rentrait, un soir, toute frémissante encore, Germaine le trouva qui vomissait le sang, pleurait, voulait se tuer. Saisie d’une immense pitié, elle promit de ne plus revoir son amant. Et elle tint parole.

Jacques Lenoël fut d’abord écrasé de douleur ; un instant, il songea à disparaître. Mais la force de l’instinct, sa fierté peut-être et sa haute raison le sauvèrent. Il s’enterra à Villeneuve dans cette maison qu’il devait ensuite acheter. Au bout de six mois, il en sortit, non pas consolé, mais ressaisi par la vie, par le besoin d’employer ses hautes facultés. Et la vie lui fut brillante, triomphale ; mais la blessure ne guérit pas.

Cependant Eugène Darsier, consumé de phtisie, et sa femme, résignée, traînaient de station en station leur morne existence. L’été, ils fréquentaient les altitudes, ou s’isolaient dans un des châteaux où s’étalait leur inutile richesse. Et, l’hiver, ils s’en allaient de plus en plus loin, chaque année, vers les climats plus chauds, à mesure que s’aggravait le mal implacable.

Depuis dix ans, peut-être, Jacques était sans nouvelles de Germaine, sauf celles que parfois lui donnait le hasard.

Mais, ce matin même, une lettre de Madère lui avait appris la mort d’Eugène Darsier. Germaine écrivait : « Je suis très malade, je me crois perdue, je vous supplie de venir. »

Dans la journée, une dépêche avait suivi, — cette dépêche éplorée qui l’appelait sur l’heure.

Et il partait, s’arrachant à cette enfant qui gisait là, incon-