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Théodore de Batné, autrefois joueur de la flûte double, qui a des propriétés d’une immense étendue et qui les a toujours défendues contre les Barbares, à l’aide de la faveur des empereurs, de ses richesses, de ses esclaves armés et des remparts dont il a entouré ses terres et ses châteaux. Or ce Publius Claudius est chrétien et se donne ainsi corps et biens à un Hellénien qu’il nomme païen ou paysan quand il en parle ; et ce Théodore de Batné, par souvenir de son ancien état, ne cesse d’affranchir ses esclaves chrétiens et autres, et n’exige d’eux qu’un travail assez modéré qu’il leur paie par journées. Quelquefois il leur donne des terres qu’ils cultivent, et l’un d’eux s’étant fait chrétien, — favorisé par le duc d’Égypte et par Athanase, ce factieux patriarche, banni d’Alexandrie, — s’est trouvé assez riche pour vendre sa protection à une autre famille Hellénienne qui est là aussi, près de mon foyer. Voici dans ma main les deux traités de ces familles suppliantes avec les familles souveraines qui, au nom de leur richesse et de leur force, vont les recevoir esclaves, mais esclaves d’une nouvelle sorte : c’est un esclavage volontaire pareil à celui de l’enfant sur le bras de la femme, de la femme sur le bras de l’homme. Et tout cela n’est consacré par aucune loi des dieux ni des hommes, et cependant cela étant nécessaire, doit vivre à travers tout, et cet ordre inconnu prend naissance au milieu des désordres[1]. Et cette vue trouble jusqu’au fond de l’âme Jean et Basile qui m’écoutent, et la confusion qui bourdonne et tourbillonne autour d’eux les rend incertains de ce qu’ils doivent faire pour prendre la défense du bien et du juste qu’ils ne distinguent plus. Ce que je dis n’est-il pas vrai ? ajouta-t-il en souriant avec une douce malice. Pour moi, je crois bien faire et suivre les volontés immuables du Dieu créateur en ouvrant toujours au plus faible le bras du plus fort, et je me suis chargé de faire recevoir dès demain à Antioche ces deux familles suppliantes chez leurs maîtres et protecteurs futurs. C’était la vue de ces choses qui d’abord, avait, comme vous, jeté Julien dans un grand effroi : mais il y avait encore d’autres choses que vous ignorez.

  1. Vigny fait pour ainsi dire sortir le moyen âge de l’empire romain, et montre les origines supposées de la féodalité et de la dime dans l’antiquité.