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Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/21

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Basile de Césarée continua :

— Paul en l’écoutant eut comme un vif sentiment de joie, car nous y retrouvions les préceptes du divin Platon. Mais à cette lecture en succéda une qui me remplit de terreur et d’un étonnement qui dure encore, lorsque Julien, écartant le livre, en prit un autre et se tenant debout ainsi que l’assemblée entière qui se leva avec lui, lut, en s’inclinant chaque fois que passait sur ses lèvres le nom de Jésus, la déclaration la plus audacieuse qui jamais ait été faite à la terre au nom du ciel :

« Le Verbe ! le Verbe divin, la Raison émanée des cieux, L’Esprit, la Parole, le Logos adoré de Socrate et de Platon, l’Âme du monde, le Dieu créateur, a été fait chair en Jésus ! »

» Je n’avais jamais jusqu’à ce jour entendu lire ces paroles devant les assemblées publiques, et ce témoignage hardi m’émut et me fit frémir jusque dans les os. Paul me serrait la main ; je le regardai : il avait les yeux en larmes, il fut obligé de serrer dans ses bras la colonne du temple pour se soutenir et se cacher. Un trouble si grand le saisit qu’il lui parut que la lumière cessait dans l’église et que Dieu offensé allait se retirer et abandonner le monde.

» Je le soutins et, par quelques mots dits à voix basse, je raffermis ce jeune homme. Nous nous remîmes à observer.

» Julien, le jeune Julien tenait ses bras élevés vers la voûte du temple et semblait en extase. Ses joues pâlissaient et rougissaient tour à tour à chaque parole qu’il lisait ; quelquefois il parlait avec une vitesse involontaire, comme dans la fièvre ; sur d’autres mots, lentement, pesamment, sans raison ; par moment, entre deux syllabes il s’arrêtait, comme écoutant quelque chose qu’on n’entendait pas et qu’il paraissait entendre. Ses deux lèvres d’enfant, épanouies, roses et animées, restaient entr’ouvertes comme si elles eussent reçu un souffle divin qui le pénétrait jusques au cœur. On voyait frémir ses dents blanches éclairées par un rayon, et ses blonds cheveux et son front étaient humectés de je ne sais quelle chaleur pareille à celle des femmes enivrées par l’amour. L’adolescent paraissait heureux. Il semblait avoir une vue claire, précise et radieuse de la Divinité. Sa respiration suspendue suspendait la nôtre ; son silence fit régner un silence morne et sans frémissement ; une larme de félicité coulait sur sa joue,