Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne parlait plus, lorsque le vieux maître leva ses yeux appesantis et sombres où je crus voir rouler une larme, et dit à Jean qui était assis près de lui et qui avait écouté Basile avec une attention passionnée :

— Et toi, depuis ce temps dont a parlé Basile, n’est-ce pas à Athènes que tu l’as vu ? N’était-il pas alors accompagné de Paul de Larisse ? Cherche bien à te souvenir de ce qu’il t’a dit. N’étais-tu pas son ami ?

— Non, — dit Jean Chrysostome, en se soulevant sur le coude et repoussant, loin de lui, le cotyle à demi rempli. — Grégoire de Nazianze y étudiait avec Julien et Basile, je crois aussi ; mais moi qui avais alors onze ans, je ne fis que le voir avec un étonnement qui me reste encore… Il était simple et bon, il avait, me disait-on, vingt-quatre ans. Il était triste et moqueur autant que je l’osais juger. Souvent, assis avec vous, Basile, il me prit sur ses genoux et je l’entendis parler beaucoup sur la nature de Dieu avec Grégoire de Nazianze et vous, et tous ses discours étaient si nouveaux et si rapides que je ne pouvais les comprendre assez vite pour les retenir. Je me souviens seulement qu’il regretta que nous ne fussions pas chrétiens.

— En effet, — reprit Basile en souriant ; — Grégoire et lui parlaient beaucoup et s’entendaient fort bien, étant tous deux Nazaréens, et moi, je m’amusais à les embarrasser par des questions difficiles. Alors Julien avec sa finesse d’esprit feignait d’abandonner Grégoire pour passer de mon côté, et Grégoire l’embrassait en l’appelant déserteur et en riant.

— Et il le tirait par les longues boucles de ses cheveux blonds, — reprit Jean Chrysostome. — Je vois encore Julien, ses grands yeux bleus si doux et si pénétrants, son teint pâle, son col penché du côté gauche, ses épaules un peu élevées, sa démarche capricieuse comme son langage, tantôt indolente et tantôt vive et emportée. Ses pensées étaient si rapides que sa parole ne les pouvait quelquefois atteindre. D’autres fois il se taisait pendant plusieurs jours, et il paraissait dépérir, usé par l’idée qui l’occupait. Grégoire s’en attristait quelquefois et me demandait ce que j’en pensais. Voilà tout ce que je me rappelle, et encore est-ce entouré d’un tel nuage qu’il ne s’en échappe que quelques traits épars. Ainsi je fus quelquefois frappé de voir le peuple d’Athènes suivre Julien dans les rues, et lui, baissant la tête en