Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

portes des remparts et des maisons. Les paysans accouraient tantôt avant, tantôt après ; tant mieux pour les plus agiles, les autres étaient livrés à la lance des Huns et aux pieds des chevaux. Les soldats des remparts ne savaient rien faire pour leur défense que lancer des flèches et des pierres maladroites ; et, l’orage passé, les portes se rouvraient aux curieux qui allaient regarder de près, mais avec prudence, les toits brûlés, les maisons rasées, les cadavres mutilés et les moissons broyées ; puis les spectacles et les fêtes recommençaient, dans cette pauvre population élégante, flagellée par la Barbarie et énervée par le Christianisme.

» Cependant Paul de Larisse ne pouvait se détacher du château de Mucella, cette prison de religieux enfants, et, une nuit, après avoir considéré attentivement des esclaves que l’on amenait deux à deux pour les vendre au marché de Nicomédie, il me quitta pour quelques heures, disait-il. Je l’attendis vainement pendant plusieurs jours et, caché dans la ville où j’étais étranger, je n’osais m’informer de lui ouvertement, et je le cherchais sans espoir de succès, lorsque je me vis aborder un soir par un marchand éthiopien qui me donna une lettre, passa et disparut avec crainte, sans me regarder ni me dire un seul mot. La lettre était de Paul de Larisse. Il s’était donné pour esclave en laissant au marchand tout ce qu’il possédait d’argent pour qu’il gardât son secret, et pour être vendu parmi les esclaves qui étaient destinés à servir Julien. Il avait été acheté des premiers, et, avec son laconisme accoutumé, me chargeait de revenir vous dire, Libanius, par quel sacrifice il avait voulu vous obéir, et que la suite ferait voir s’il y avait réussi. Je ne l’ai pas revu depuis ce jour, ajouta Basile de Césarée, mais ce que Julien a fait de bien jusqu’ici, l’Empire le doit peut-être à ce dévouement de votre disciple le plus cher. Cependant il est cruel pour nous et pour tous qu’il ne soit pas revenu chercher les entretiens de Daphné. »

Le vieux Libanius[1] ne répondait pas, et sa tristesse s’accroissait d’instant en instant. Il y avait déjà longtemps que Basile

  1. Ici, de la main de Vigny, ce titre : Affliction de Libanius.