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de son manteau pour essuyer une larme qui coulait malgré lui, et dit d’une voix douce et attendrie :

— C’est moi qui suis Julien, votre disciple, que vous avez condamné.

Libanius jeta un cri qui me remua jusqu’aux entrailles, se leva en s’appuyant sur la table et lui tendit les deux bras en disant :

— Seigneur, Seigneur, est-ce vous qui venez dans ma maison ?

Mais Julien se jetant dans ses bras, à genoux comme un enfant, pressait sa tête contre la poitrine de son maître et disait :

— Mon père, mon père, j’ai besoin de toi !

Et, sans chercher davantage à faire parade d’une force vaine et d’une fausse dignité, il laissa couler ses pleurs en liberté.

Pour moi je me sentis, je l’avoue, un effroi secret en voyant, devant moi, l’Empereur s’abandonner à ces mouvements impétueux de son caractère. Je craignais qu’un regard jeté sur moi ne l’avertit de la présence d’un étranger et qu’il ne s’indignât contre lui-même et contre moi. Mais il vint se placer sur un des lits circulaires, tout au milieu de nous, et là, souriant avec une grâce ineffable, sans vouloir empêcher ses pleurs de descendre en abondance le long de ses joues, et sans les cacher, il donna l’une de ses mains à Jean, l’autre à Basile, et assis entre eux comme un frère, me fit avec la tête un signe de bonté et de confiance qui me rassura, après que Libanius lui eût dit qui j’étais.

Cependant nous étions tous sans voix, et Julien, respirant comme après une longue fatigue de l’esprit, et goûtant un peu de paix comme pour la première fois depuis bien des années, regardait avec douceur les traits du maître et des disciples tour à tour, puis la maison et ses simples marbres blancs et polis, et surtout, entre les colonnes ioniennes, le bois sacré, les grands cèdres et les lauriers de Daphné. Enfin, sortant de ce silence, il nous dit, en remarquant notre profonde attention à tous ses gestes :

— En vérité, je ne vois ici que ce jeune stoïcien qui puisse parler le premier.

Ce fut alors seulement que Libanius aperçut Paul de Larisse