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vis, à ma grande surprise, que Libanius me regardait et portait les yeux tour à tour sur Julien et sur moi.

— Ah ! Julien, — dit-il, avec son air abandonné, — serais-tu surpris si ce jeune Hébreu d’Alexandrie t’avait, sans le vouloir, amèrement critiqué ? Tu as cru qu’il te louait, et lui-même aussi l’a pensé, mais moi je pense précisément le contraire. Ah ! mon enfant, qu’il me faut de courage pour dire ce que, dans un moment de douleur et de recueillement, je viens de me dire à moi-même ! Me permettras-tu, — je suis vieux, Julien, — me permettras-tu de monter au point que je viens d’entrevoir, mais de n’y monter que pas à pas et appuyé sur une épaule beaucoup plus jeune et plus ferme que la mienne ? Tu m’as ramené Paul de Larisse, que je vois stoïcien et plus solide que jamais sur ses pieds ; permets, mon cher Julien, que je prenne son bras afin qu’il m’aide à gravir ce haut promontoire. Vous nous y suivrez tous les trois, et s’il arrive, ce que le Dieu de la lumière veuille empêcher, s’il arrive que nous trouvions un abîme sous nos pas, nous unirons nos efforts afin de trouver un chemin pour l’éviter ou des travaux pour le combler.

Nous nous regardâmes tous en silence, et Paul de Larisse s’approcha de Julien et lui pressa la main, avec le sentiment d’un danger secret que l’un des deux allait courir, et d’un combat décisif que la raison supérieure de notre âge allait nous livrer. L’adversaire s’avançait avec une lenteur redoutable, et comme les plus grands événements ont été souvent déterminés par quelques simples conversations entre les grands hommes, il était visible pour nous que quelque chose de décisif arriverait après ce que nous allions entendre.

— Ce que vous allez dire est peut-être ce que je suis venu chercher, — dit Julien calme, mais attentif comme un brave qui attend le coup d’une habile épée.

Paul de Larisse s’étant assis sur le lit même où Libanius était à demi couché, Libanius lui dit :

— Je ne sais d’où vient que le premier effet de ton arrivée auprès de Julien a été de le détourner de cet amour des poètes qu’il égalait par des poèmes et des chants admirables, et les muses Ligies pourront bien ne t’avoir pardonné qu’avec peine si tu es cause d’un tel abandon.