Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/348

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ne suis-je pas en droit de rendre compte, puisque je n’ai pas cessé d’obéir à la première pensée qui me fit partir autrefois avec Basile de ce lieu sacré où nous sommes, pour porter à Julien les paroles de Daphné ? Je dirai donc en peu de mots ce qui s’est fait, et vous verrez que nous n’avons pas dévié, mais peut-être vous-mêmes qui nous jugez. — Le cri de Julien devant l’évêque Arien était celui du chrétien blessé au cœur. Sa croyance était empoisonnée, et nous sentîmes que, de ce jour, elle devait mourir en lui. Je me dévouai. Je me vendis comme esclave pour l’approcher. C’est là mon honneur à moi, et je n’ai pas voulu être affranchi ni racheté pour ne pas le perdre. J’ai appris à Julien ce que les eunuques qui le tenaient prisonnier lui avaient caché. Je lui ai fait savoir qu’il était neveu de l’empereur Constantin l’Apostat, qui avait publiquement renié la religion de nos pères et de Rome pour n’être même pas chrétien et rester arien ; que lui, Julien, avait été sauvé par quelques soldats du massacre de sa famille où périrent sept enfants comme lui ; que le monde n’était pas chrétien comme on le lui enseignait, que les temples des Dieux supérieurs étaient debout dans tout l’Empire ; que ceux de toutes les divinités inférieures étaient ouverts dans Rome, où le Sénat, les Consuls, les Tribuns, et les Chefs des grandes familles patriciennes, plébéiennes et consulaires, et tous ceux qui exerçaient les grandes charges de l’État venaient publiquement sacrifier et gouvernaient toujours par les devins et les présages ; que les eunuques et les courtisanes affectaient de suivre la foi du Prince et la déshonoraient, mais que ni l’Apostat Constantin ni son pâle successeur n’avaient osé abolir les sacrifices ; et enfin qu’il y avait à Daphné des philosophes qui allaient et venaient sans cesse, régnant sur les croyances populaires et entretenant le feu pur et sacré de la morale au milieu des combats religieux et des sophismes de toutes les écoles. Alors Julien ouvrit les yeux ; il vit l’Empire envahi, énervé, il résolut de se préparer à régner. Nous nous vîmes entourés d’espions ; il fallut être chrétien longtemps de visage ; Julien s’y soumit et fut libre ; subir avec patience la vue d’une cour de délateurs, de courtisanes, d’eunuques, de sophistes, de barbiers et d’échansons pour parvenir à vous entendre, Libanius avec Basile, Maxime, Grégoire, Écébole, Apollinaire et les