Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nature des Dieux secondaires qui adoptent les nations et dirigent leurs fortunes diverses, faisant connaître l’avenir à ceux des hommes qui cherchent à leur ressembler et atteignent quelque chose de leurs perfection. Ces Anges solaires qui vivent à présent avec le bienheureux Platon ne cessent de monter et descendre du Soleil à nous, et suivant sa lumière, pénètrent l’âme à travers les corps ranimés par elle. Qu’on les nomme Cérès-Dèo ou Minerve Pronoée, ils viennent du Soleil-Roi, emblème visible du Démiurgos, du Logos, du Verbe incréé et très pur.

— Mon cher Julien, — répondit Libanius, — le nombre est infini des Chrétiens qui, depuis ton règne, et au moindre signe venu de toi en passant par des milliers de petits pouvoirs nés du tien, ont quitté leur christianisme. Ils l’ont quitté par indifférence, et n’étaient tombés dans cette indifférence que parce que les deux cents sectes et plus encore qui les divisent avaient soumis la nature de leurs Divinités au même creuset où tu viens de faire passer celles de l’Olympe. Toi qui t’es diverti publiquement en faisant venir chez toi les Ariens, les Novatiens, les Donatistes et autres pour les faire disputer jusques à perdre haleine, te crois-tu bien loin de leur Homoousion, de leur Consubstantialité ? Je te crois, en vérité, plutôt possédé à ton insu du sentiment qui t’a fait écrire l’autre jour dans le Misopogon : Je chanterai pour les muses et pour moi.

» C’est vraiment par un sentiment purement poétique que tu t’es exalté, Julien, et il se trouve ainsi que, tandis que tu croyais agir sur la multitude des hommes, tu n’as agi que sur toi-même. Tu t’es pris les pieds dans le filet que tu avais tendu, tu t’es enivré du vin que tu leur avais préparé, tu l’as pris en goût, tu en remplis ta coupe, tu y reviens sans cesse, et tu viens de boire devant nous, mon ami, le nectar de ta poésie. Nous l’aimons beaucoup aussi, mais, en vérité, tu conviendras que tu aurais mieux fait de le laisser couler sur le papyrus pour charmer les siècles futurs, s’il est certain qu’il n’est pas aussi goûté de la multitude que de toi, et s’il nous est démontré qu’elle n’en boit pas tant qu’elle le semble faire.

Ici Libanius s’avança sur le bord de la table et attachant ses yeux sur ceux de Julien, sembla y plonger ses regards comme deux épées.