Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/354

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— Or, voici, — poursuivit-il, — tu as vu sans doute, devant tes vieux soldats, de jeunes patriciens les commander d’une voix incertaine ; les oplites obéissaient aussi d’une incertaine manière, les boucliers ne sonnaient plus fortement en tombant ensemble à terre, et leurs manœuvres ne se faisaient que mollement. Je vois, mon cher Julien, que ceux qui adorent les Dieux, les Helléniens qui sacrifient avec toi et lisent l’avenir dans des entrailles, t’obéissent ainsi. Un secret instinct les avertit que tu as, pour les figures célestes que tu rêves, cette sorte d’affection que peut avoir un peintre pour le tableau qu’il a fait, et dont il caresse de l’œil le dessin et la couleur, mais que tu n’as pas plus que nous, pour ces symboles, cet amour sincère dont la voix est la prière, dont le lien est la supplication et la reconnaissance, que l’espoir de la présence d’un être céleste anime et qui croirait à la réelle existence de ces Divinités. Les hommes les plus vulgaires ont un sentiment vague de la vérité. Ils pensent que les Dieux sont usés, que nous n’y croyons plus, et que leurs noms sont pour nous des idées de destinée, de justice, de force, de vertu, que nous leur voulons rendre sensibles. J’ai cru quelque temps que l’on pouvait dorer les idoles et blanchir les temples, mais je vois qu’ils n’en paraissent que plus vieux. Le nouveau voile dont nous avons enveloppé les idées est trop transparent, son tissu est trop élégant et trop fin, on voit en dessous nos pieds de philosophes et de savants ; c’est ce qui fait que tout est perdu pour le temps de notre vie.

» Deux choses auraient pu nous sauver, et lorsque je l’envoyai Paul de Larisse, je les espérai. Les hommes de notre temps auraient pu avoir assez de bonne vigueur romaine encore pour reprendre, en son entier, le zèle sincère des réelles Divinités et s’attacher la bouche au large sein de Cybèle, la mère des Dieux ; ou bien, à défaut de cette antique et primitive vertu, ils auraient pu avoir déjà un assez grand partage de cette hardiesse qui nous a été donnée à quelques-uns que nous sommes, répandus par le monde et rarement réunis, cette autre force plus jeune et plus grande qui consiste à comprendre la Divinité, l’immortalité de l’âme, la vertu et la beauté sans le secours grossier des symboles. Je l’ai espéré, Julien, et chaque pas que je l’ai vu faire m’a confirmé par son vif éclat