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Ils arrivèrent avec la foule du bœuf devant une église contre laquelle une autre foule élait irritée[1]. Une longue corde était attachée à la croix de cette église et le peuple tirait la corde avec de grands cris. La croix chancela et tomba tout à coup au milieu des buées, et avec elle une partie des murs de la vieille église. Des gardes venus pour protéger l’église se prirent à rire et se partagèrent les ornements du lieu saint, sans seulement penser qu’ils eussent été saints. Les deux foules se réunirent à la suite du bœuf, et le bœuf marcha sur la croix, et toutes les foules après lui.

Le peuple allait le long de la rivière en se réjouissant de la gaieté des garçons bouchers, et l’on voyait flotter sur l’eau un nombre infini de livres grands et petits. Des rouleaux de papyrus antique, des parchemins du moyen âge et des feuilles hébraïques se heurtaient comme des coquilles de noix abandonnées, et cette vue réjouissait les petits enfants qui jouaient sur le bord.

Le Docteur Noir et Stello s’approchèrent du fleuve et achetèrent d’un enfant l’un de ces grands livres. À peine eurent-ils jeté les yeux dessus qu’ils reconnurent une plainte touchante du savant Grégoire Bas, Hebrœus, Abulfarage[2] sur la perte de la Bibliothèque d’Alexandrie brûlée par les barbares.

Le noir Docteur sourit, Stello soupira.

Tous deux lurent avidement ces belles paroles écrites dans le xiiie siècle sur l’événement des barbares du viie. Mais ils ne lurent pas plus avant, parce que trois cents pages qui suivaient avaient été déchirées par les barbares de Paris du xixe siècle où nous sommes tombés aujourd’hui.

Tous deux continuèrent leur chemin à la suite du bœuf et des bouchers, des masques et du peuple de Paris, et ils arrivèrent au palais de l’Archevêque. Les hommes et les enfants jetaient le toit par terre et les meubles par les fenêtres, et les troupes les regardaient faire et riaient et empêchaient les livres d’être retirés de la rivière.

  1. Il s’agit ici, comme au début, du sac de l’Archevêché, dont la date, 14 février 1831, est bien en effet voisine des jours gras.
  2. Abulfarage où Aboul-Faradj-Ali, historien et poète arabe, né à Ispahan en 897, mort en 967, est surtout connu par son recueil d’anciennes chansons et poésies arabes.