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DAPHNÉ[1]


Comme je passais à grands pas sous les palmiers, j’entendis quelque chose de semblable à des gémissements. Je m’arrêtai pour écouter, mais je ne distinguai plus que le soupir du vent dans les longues branches des arbres et les mugissements lointains de la mer. La chaleur ne se faisait plus sentir sous ces grandes ombres, et, les palmes ne cessant jamais de battre l’air comme de larges mains, l’air faisait passer autour de moi les odeurs délicieuses des plantes et les parfums du lotos. De temps en temps seulement, lorsque le vent de l’occident envoyé par la mer venait à faire ployer tous les palmiers à la fois, les rayons rouges du soleil se plongeaient dans l’ombre comme des épées de feu, et leur passagère ardeur rendait plus délicieuse la fraîcheur et l’ombre qui n’étaient troublées et traversées ainsi que par de rares éclairs. Je m’avançais lentement, en méditant sur le spectacle que m’avait donné cette ville capricieuse et efféminée d’Antioche, et j’allais calculant en moi-même combien de trésors vient de perdre cette folle cité, l’innombrable quantité de statues d’or et d’argent que les Nazaréens ont brisées, celles que les Helléniens ont enfouies par frayeur, et celles que nos frères ont reçues pour les fondre et les échanger contre les monnaies romaines ; et je ne pouvais m’empêcher d’admirer comment tous les changements des

  1. Voir la Revue du 15 juin.