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qu’il était malheureusement valentinien[1]et avait été tué par les Ariens[2].

Comme je voulais arriver avant la chute du jour, je ne m’arrêtai pas plus longtemps pour demander ce que c’était qu’un valentinien, et je m’enfonçai de plus en plus dans le bois sacré, pressé d’entendre le seul homme qui pût me faire comprendre toutes ces choses qui me troublaient un peu malgré moi et que je n’apercevais qu’imparfaitement encore… Je pris bientôt une petite route bordée de tombeaux helléniens. Autour des cyprès étaient pressés les grands arbres et les belles plantes des Indes : je reconnus le majestueux amra dont les fleurs sont plus rares et plus belles que celles du lys des eaux ; le mallika et le madhavi serpentaient à ses pieds ; le sandal parfumait l’air, et j’y retrouvai même le dur rai et l’ingudi dont je vous ai envoyé le bois précieux et les huiles si rares. Je rencontrais partout des sources d’une limpidité si merveilleuse que je pouvais voir clairement, sur leur sable doré, à une grande profondeur, les insectes bleus qui se jouent dans les rayons toujours étincelants et pareils à ceux de l’arc-en-ciel. Les prêtres helléniens enseignent que leur déesse Iris ayant prêté sa ceinture à la belle Daphné, celle-ci la laissa tomber pour toujours dans la source divine, lorsqu’elle s’y vint plonger pour fuir le Dieu qui l’aimait. À chaque pas les arbres étaient marqués de signes sacrés, et, comme les lauriers devenaient plus nombreux, je devinai que j’approchais du temple de Daphné ; mais je n’en vis pas même les colonnes, parce que l’entrée en est sévèrement interdite dans la crainte continuelle où l’on est des attaques des chrétiens.

Je m’étais arrêté pour chercher la voie de l’occident qui devait me conduire à la maison de notre vieil ami, lorsque j’aperçus une troupe légère d’antilopes et de biches blanches qui passait dans le bois et volait comme chassée par le vent frais de la mer. Je les vis s’arrêter à peu de distance, et deux

  1. Valentin enseignait vers 145 une doctrine mystique où l’on trouvait confondus avec les principes du Christianisme quelques dogmes du Platonisme et de la philosophie orientale.
  2. Les Ariens combattaient la Trinité et niaient la consubstantialité du Verbe avec le Père, l’homoousion dont il sera question plus loin, pp. 20 et 21, et, par suite, sa divinité même.