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LA REVUE DE PARIS

en arrière les cheveux qui lui tombaient sur la figure et rassembla les chèvres du village. Elle les gardait sur les montagnes, depuis près de cinq ans, déjà, depuis qu’on l’avait chassée de l’école… Quand elle bougeait, c’est à peine si l’on apercevait la ligne de ses hanches sous les haillons de sa jupe. En marchant, elle balançait en cadence ses bras maigres, tandis que d’une voix somnolente elle chantait un vieil air croate.

En bas, dans le village, une lumière s’allumait à la fenêtre d’une maison. Le fracas du torrent monta vers elle. Quelqu’un poussa un cri de joie près de l’auberge.



II


Au milieu des grandes montagnes assombries, le village s’allongeait démesurément. Près du rempart devenu vert s’élevaient deux vieux chênes. Plus bas, quelques toits rouges, le long de la route des maisons de bois pourri, en lignes zigzagantes, désordonnées… Les fenêtres obliques se regardaient méchamment, avec méfiance. Les toits enfumés avaient glissé de travers sous la pression de la « bora », comme le chapeau des gens ivres. Des petits nuages montaient des cheminées. Un chaud parfum de pain sortait de la maison du sonneur. « Peut-être bien qu’ils se préparent à une noce ! » pensa Jella. L’eau lui vint à la bouche. Affamée, elle continua son chemin.

La route était boueuse ; pourtant depuis longtemps il n’avait pas plu. L’eau croupissait en flaques bleuâtres parmi les pierres saillantes. Devant les maisons, des paysans étaient assis à terre, les jambes étendues, comme du bétail au repos. Le gars travaillait seul, encore, dans la forge. Son pied chaussé d’une savate piétinait, en claquant, la barre du soufflet. Le feu brûlait dans le foyer et sa lueur, lorsqu’il flambait, éclaboussait brillamment la figure noircie du garçon. Une minute, Jella cessa de marcher. Le gars leva la tête et courut à la porte.

— Jella !… Viens ici, ma Jellitza !

La clarté crue du feu, derrière lui, encercla sa silhouette et,