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AU PAYS DES PIERRES

debout sur le seuil, les jambes écartées, on aurait dit que le bas de son tablier de cuir et ses épaules brûlaient.

La fille secoua la tête, et pourtant, après quelques pas, elle se retourna en riant. Ce Davorin était un gaillard paresseux et grossier, mais lorsque, le dimanche, il s’était bien lavé et bien battu tout son saoul, c’était agréable de s’asseoir près de lui au bord du torrent.

Enfants, ils s’étaient roulés ensemble dans la poussière. Au moulin en ruines, ils s’étaient poussés, avec des cris perçants, sur les sapins écorcés. Jella se souvint d’un jour où leurs camarades se laissèrent glisser le long d’un tronc ; elle passa dessus en courant, pieds nus, d’un bout à l’autre. Elle se sentait la première du village. Depuis, elle ne regardait plus aussi fièrement autour d’elle ; depuis, elle savait qu’on la tenait pour la dernière de toutes.

Quand Davorin devint un jeune homme, il se détourna d’elle. L’automne précédent, ils se rencontrèrent à nouveau derrière l’église. La chemise de Jella glissait un peu sur son épaule. Ses cheveux flottaient. Davorin la regarda comme s’il était fort en colère : « Où vas-tu ? — Nulle part. » — Puis ils cheminèrent longtemps sans dire un seul mot. Ils redevinrent amis, bien que Davorin fût le frère cadet de Slatka. Lorsqu’il faisait du tapage, il ressemblait à sa sœur.

Jella se trouvait à la hauteur de l’église. À travers la fenêtre ouverte du presbytère, un murmure uniforme se répandait dans le crépuscule. À l’intérieur une lampe brûlait. Le prêtre était penché au-dessus de la table. Son large nez projetait sur le mur une ombre informe parmi les images saintes.

Jella continua de marcher en bâillant et son regard s’arrêta sur la grande cour en désordre du presbytère. Près du hangar, quelques blouses étaient blanches dans l’obscurité. Slatka, assise au milieu du linge, se balançait sur un panier renversé et parlait avec la grasse gouvernante du curé. Entre-temps, elles faisaient toutes deux des gestes menaçants qui révélaient la colère. Lorsqu’elles aperçurent la fille, elles ravalèrent prestement leurs paroles et s’entre-regardèrent niaisement. Personne ne répondit au salut de Jella qui se sentit soudain très abandonnée.

Ses chèvres la quittèrent l’une après l’autre, chacune entrant