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LA REVUE DE PARIS


IV


Jella rattrapa sa mère sur le seuil de la chaumière. Elles verrouillèrent la porte derrière elles, avec une hâte désespérée. Toutes deux respirèrent ; leurs regards, s’étant rencontrés, se détournèrent pleins de trouble. Maintenant, le péril écarté, elles apercevaient quelque chose dans leurs yeux… La femme défit, puis renoua, sans but, son fichu sous son menton. Jella ne la regardait pas et vit pourtant que les plis de sa jupe tremblaient à la hauteur des genoux. Toutes deux restaient silencieuses. Et dans ces minutes impitoyablement muettes, inconsciemment l’une expiait, l’autre pardonnait.

Lorsqu’elles se regardèrent, il n’y avait plus de trouble dans leurs yeux. Jella s’assit sur le petit banc. Elle commença de laver avec un chiffon mouillé le sang qui coulait lentement de son pied blessé. La femme, avec des mouvements fatigués, automatiques, errait dans la pièce. Elle rangea les oignons, sur la grosse poutre, secoua les champignons secs enfilés dans une ficelle pendue au linteau, remua les olives dans le bocal. Sous la protection de la porte verrouillée, elles continuaient à vivre de leur vie habituelle… Alors, soudain, on entendit frapper faiblement à la fenêtre. Ce n’était qu’un insecte qui avait heurté la vitre, mais ce bruit sourd leur arracha une pensée commune, non énoncée. Elles demeurèrent figées, comme si, avec l’insecte, tout le monde extérieur, hostile, avait frappé chez elles, comme si tout le village les épiait à travers la fenêtre. Et la femme décrocha, en soupirant de lassitude, le filet placé près du foyer, auquel elle avait travaillé, la veille.

— Je ne puis rester ici.

Une frayeur immobile surgit dans les yeux de Jella.

— Je dois m’en aller. Ces chiens m’assommeront quand il n’y aura plus de gendarmes dans le pays.

Giacinta détourna la tête. Sa voix était mal assurée lorsqu’elle reprit :

— Je vais emporter le filet à Porto-Poe, pour les pêcheurs. Quand nous aurons de l’argent, nous nous établirons ailleurs.