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Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/253

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AU PAYS DES PIERRES

Jella sauta sur l’herbe. Elle s’élança vers lui.

— N’avez-vous pas vu ma mère ?

Sa voix hoqueta. Lorsqu’elle eut énoncé ce qu’elle n’avait dit à personne, — sa pensée de toujours — elle baissa instinctivement les yeux, comme si à travers ses prunelles, on avait pu voir dans son âme.

L’homme s’arrêta. C’était un rude montagnard robuste. Le vent avait tanné son visage osseux ; une barbe broussailleuse grisonnait sur son menton rude. Il portait un chapeau devenu informe et verdâtre, dont les bords effilochés pendaient sur son cou hâlé. La bise boursouflait parfois sa chemise crasseuse et rayée sur sa poitrine velue.

Il secoua lentement la tête :

— Elle est donc partie ?

— Elle est partie, — reprit comme un écho la voix de la fille ; mais elle ne savait pas qu’elle avait répondu.

— Je viens d’au-delà des montagnes. Là-bas, je n’ai pas vu ta mère.

Jella ne le comprit pas. Là-bas ? D’au-delà des montagnes ?… Une idée nouvelle, imprévue, lui vint à l’esprit. Elle leva les yeux avec inquiétude.

— Mais n’est-ce pas, il y a aussi des montagnes, là-bas ? Que pourrait-il y avoir d’autre ? Ou bien êtes-vous allé jusqu’à la mer ?

Dusan secoua de nouveau la tête :

— Où je suis allé, il n’y a ni pierres, ni mer.

Et il grommela encore quelque chose qui signifiait que derrière le Grand Mont, après les gorges de l’Obruc, les montagnes finissaient.

La fille apeurée pressa ses pieds nus sur le sol pierreux, comme si l’homme avait voulu lui prendre jusqu’aux montagnes. Sa gorge se serra.

— Il y aurait donc un pareil endroit au monde ? Et alors, qu’y aurait-il, là où il n’y aurait pas de montagnes ?

— Une espèce de plaine, — grogna Dusan, avec indifférence, et il s’appuya sur son bâton noueux.

Jella, abattue, regarda pendant un moment devant elle. Cependant elle avait encore quelque espoir ; elle n’était pas tout à fait convaincue.