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LA REVUE DE PARIS

profondément, sous ses aisselles, dans sa veste déguenillée. Sa face était rougie par l’effort.

Jella regarda avec intérêt la caisse noire. Lorsqu’ils entrèrent dans le village, l’homme s’arrêta près du fossé, s’adossa à un tertre, et défit la courroie. Il posa son chapeau dans l’herbe et s’agenouilla dedans ; puis il sortit avec précaution les compartiments. Des tabliers, des fichus, des miroirs enluminés, des boucles d’oreilles, en pierres fausses, sortirent de la caisse. L’odeur des pommades huileuses et du savon à bon marché montait fortement aux narines de Jella ; mais elle ne regardait qu’un fichu bariolé à franges qui était plus beau, qui brillait plus que tout. Ce fichu conquit ses yeux. Jamais elle n’avait vu pareille magnificence. Soudain elle le désira. Quand elle le toucha, elle leva les yeux. Sur la route, des filles, des femmes arrivaient du puits, en groupes bruyants et rieurs. Zorka était aussi parmi elles. Jella s’éloigna en courant. Elle ne se retourna que de loin. L’homme était toujours agenouillé dans son chapeau. Les filles l’entouraient en se bousculant ; Zorka avait posé le fichu sur ses épaules, et se contemplait dans une glace encadrée de fer blanc.

Jella se rappela Davorin. Elle aurait voulu crier des paroles méchantes à sa femme, mais pourtant elle s’éloigna sans rien dire.

Chemin faisant, elle pensait sans cesse au fichu. Elle se souvint que dans son enfance la femme du maire en avait un pareil, et qu’elle aurait voulu le jeter, une fois au moins, sur ses épaules et courir, afin que les franges flottassent dans le vent. Toutes les filles avaient un fichu dans le village ; Jella seule, n’en avait pas ; jamais elle n’avait rien possédé… Elle se figura que si ce fichu lui appartenait, elle irait à la messe en s’en revêtant, même par les fortes chaleurs, et Davorin la regarderait encore à l’élévation, lorsque les autres auraient fermé les yeux. Et elle lui tournerait le dos, non pas comme l’autre fois, un pauvre petit dos revêtu de cretonne déchirée, mais un dos couvert du beau fichu rose… Puis elle traverserait le village et toutes les franges flotteraient au vent !

Quand elle fut chez elle, elle tira la brique du flanc de l’âtre et, tout en pensant au fichu, jeta un regard dans le creux plein de suie pour voir si la croix était en place.