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AU PAYS DES PIERRES

Vers le soir, elle s’assit devant la porte. Elle regarda la route sans faire un mouvement. Longtemps après, le colporteur sortit de l’auberge. Jella se rappela soudain pourquoi elle grelottait depuis si longtemps, sur le seuil.

— As-tu encore le fichu ! — s’écria-t-elle de loin.

L’homme fit un signe de tête et continua d’avancer.

— Pour combien le donnes-tu ?

Le nomade s’arrêta. Il regarda avec défiance la jupe déchirée de la fille.

Ils commencèrent à marchander, et Jella sentait déjà qu’elle ne pouvait vivre sans le fichu.

— Nous avons une croix d’or…

Elle eut peur lorsqu’elle eut dit ces mots. Elle regarda brusquement en arrière. C’était venu si vite ! L’homme laissa le fichu ; il remit même de l’argent à la jeune fille et il emporta la croix d’or.

Jella descendit de la planche le morceau de glace brisée posé près du paroissien de sa mère. Elle l’appuya à la fenêtre. Elle s’y regarda. Le fichu se tendait sur son jeune sein. Elle se prit à sourire.

— Jagoda ! Jagoda !

La vieille mendiante s’arrêta près du ruisseau, et comme si le vent l’eût apportée, elle revint rapidement vers la chaumière.

— Viens donc !

La fille voulait se montrer à quelqu’un.

La vieille passa le seuil en clopinant et s’accroupit près du feu.

Jella pirouetta en riant :

— Suis-je belle ?

Jagoda la regarda d’en dessous et frotta lentement l’une contre l’autre ses mains violacées.

— Belle ! — dit-elle à voix basse, — mais j’ai froid. Il y a longtemps que je n’ai reçu quelque chose de chaud pour manger.

Jella savait que Jagoda appelait l’eau-de-vie « quelque chose de chaud », et elle fit la moue.

La vieille eut un geste de mépris.

— Tu ne sais rien ! Quand Dieu eut créé le froid, la faim,