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LA REVUE DE PARIS

la vieillesse, eh bien ! il eut pitié des hommes et pour leur donner aussi quelque chose de bon, il créa l’eau-de-vie, car avec elle on peut oublier le froid, la faim et la vieillesse aussi.

Tout à coup son œil s’arrêta, sur l’appui de la fenêtre, sur l’argent que Jella avait reçu du colporteur. Elle n’en détacha plus son regard, et se mit à parler avec sa voix de mendiante :

— D’où viennent ce fichu et cet argent ?

Cette question surprit la fille qui ne s’y attendait pas.

— Allons, n’aie pas peur, ma Jellitza ! Tu es belle… tu es jeune, et moi je sais me taire.

Elle tendit significativement sa main sèche.

Jella lui donna de l’argent, mais ne la regarda pas. La vieille s’arrêta sur la porte. Elle était plus courbée que d’habitude ; ses mains pendaient jusqu’au seuil.

— Ta mère reviendra bientôt…

La fille arracha le fichu de ses épaules avec un mouvement effaré :

— D’où le sais-tu ?

Elle ne comprenait pas ce qui venait d’arriver. Elle avait eu peur lorsqu’on avait nommé sa mère, et pourtant elle l’attendait encore tantôt. Elle s’en souvenait clairement quand elle cueillait des champignons sur les flancs de la montagne. Elle jeta un regard inquiet vers la dernière brique de l’âtre. À présent le colporteur devait être loin et sa mère lui avait dit de faire bien attention à la croix. Elle s’essuya le front. Le fichu était si beau ! Elle le désirait depuis si longtemps !

Le soir, avant de s’endormir, on aurait dit qu’elle n’attendait plus sa mère. Et depuis, elle ne se demandait plus où Giacinta pouvait bien rester si longtemps !



XIII


La nuit, il neigeait déjà dans les montagnes. Le lourd ciel noir s’affaissait ; seuls, les pics blancs le soutenaient pour qu’il ne s’effondrât point sur la terre.

On entendait sur les pentes les sonnailles de bestiaux comme