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Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/583

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AU PAYS DES PIERRES

mais la fille ne voyait pas l’aurore, elle ne regardait que l’ombre noire du croisillon, projetée lentement par la lueur croissante, sur le sol de la chambre, vers le lit de sa mère, comme le débordement de quelque eau froide et morte. Jusqu’alors, elle ne s’était jamais aperçue que le matin entrait dans la maison autour d’une croix noire…

La pluie battait le toit sans arrêt, par secousses ; le vent sifflait à travers les fentes de la porte. Tout était gris et triste ; dans un coin s’épanouissait une tache bariolée : le fichu de Jella. La fille se leva en grelottant ; elle dut s’étirer pour remuer ses membres engourdis, puis, elle alla sur la pointe des pieds, à la fenêtre, défit la jupe en haillons, et la jeta sur le fichu. Elle s’arrêta soudain dans l’ombre du coin. Maintenant qu’elle s’était éloignée du lit de sa mère, elle n’osait plus y retourner. Elle avait peur. Elle sentait sur sa tête, sous ses cheveux, un courant glacé, et dans le grand silence, elle fut prise de l’affreuse certitude qu’elle était toute seule au monde.

Elle se réfugia avec horreur près du lit.

Sa mère ne respirait plus. Et Jella comprit, alors seulement, que Giacinta était là, tout à l’heure ; qu’avant de partir sa mère était revenue…



XIV


Il y avait au carrefour, sous la butte, une vieille maison à demi écroulée. Même en été, on voyait sur ses murs des taches humides. Le fossoyeur était toute la journée assis derrière la petite fenêtre encadrée de bleu. Il cousait des opanka pour les paysans et martelait sans cesse. Il était d’avis que les hommes n’avaient tout au plus besoin que d’une bière, mais d’au moins deux opanka. On ne pouvait vivre d’un seul métier. Quand il creusait une fosse, quand il cousait des opanka, son visage était le même, et il sifflait toujours. Mais lorsque les enfants se moquaient de lui en le traitant de savetier, il se fâchait. Son père et aussi son grand-père avaient été fossoyeurs. Lui non plus ne voulait pas être autre chose. Il menaçait les enfants ; et criait rageusement sur la route. Puis il se rasseyait près de la petite table, sur la chaise basse, et de l’extérieur, on ne