Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/588

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
582
LA REVUE DE PARIS


XVI


Le lendemain, on enterra Giacinta dans le petit cimetière au flanc de la montagne, où l’on devait creuser les fosses dans le roc, où pour les enterrements, chacun apportait une motte de sa terre arable. La terre est rare sur les grandes montagnes ; c’est à peine si elle donne du pain et des tombes.

La voix de bronze de l’église pleurait tristement jusqu’au fond du vallon. Quand le cercueil noir oscilla sur le seuil de la chaumière, le soleil d’automne apparut parmi les nuages. Les montagnes percèrent le brouillard, brillantes et mouillées, comme si, avec les forêts et les roches, elles avaient surgi d’un lac aux profondeurs incommensurables. Tout étincelait ; seuls, les yeux de Jella étaient de nouveau secs. La vue des hommes avait pétrifié son âme. Le visage blême, elle allait, morne, derrière le cercueil sombre, lentement balancé, et elle ne pouvait croire que l’on emportât sa mère dans ce cercueil. Elle percevait tout ce qui se passait autour d’elle de loin, comme dans un songe. Pas lourds, sonores. Voix étouffées, chuchotantes :

« Comme elle était belle ! comme elle aimait vivre ! comme elle savait chanter ! »

Aujourd’hui les hommes étaient plus tendres qu’autrefois. Chacun pensait à soi, et comme si, à travers la morte, ils voulaient flatter la Mort afin qu’elle les laissât en paix, longtemps encore, ils n’osaient dire que du bien.

En arrière, les femmes commencèrent à chanter. Les hommes se relayaient pour porter la bière pendant la longue route. Un instant, près de la caisse noire, Jella crut reconnaître la tête découverte de Davorin, et la tête de Franjo ; mais la tête du second s’inclinait vers les planches, plus que toutes les autres…

Des deux côtés, les chaumières grises étaient muettes d’effroi, et l’église contemplait si solennellement la dernière promenade de Giacinta, qu’elle semblait vouloir oublier, comme les hommes, qu’on avait pourchassé devant son portail cette femme que tout le village suivait maintenant, chapeau bas.

La flamme des deux cierges vacillait à l’air libre des prés. La tache du surplis dentelé du curé flottait, blanche, sur le