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AU PAYS DES PIERRES

sentier du cimetière, parmi les vêtements noirs des dimanches. Un homme se tenait au bord de la fosse ouverte, appuyé, affaissé sur sa pioche. Le vent agitait lentement sur son crâne les pointes du mouchoir rouge.

Jella le fixa, les yeux troubles, pendant qu’on récitait le Pater.

« Pourquoi me torture-t-on si longtemps ? pensait-elle, à bout de forces. Si tout pouvait être fini ! »

Lorsque le cercueil plongea dans le rocher et que la première motte caillouteuse tomba dessus en retentissant, elle crut ouïr, dans le lointain, un cri perçant, son propre cri… À présent oui, à présent elle avait conscience que sa mère était morte, et elle sanglota dans le grand silence. Une main rude saisit son bras et la tira en arrière. Les pierres recommencèrent à pleuvoir. Elle vit obscurément que les chapeaux, les mouchoirs, vidaient de la terre dans la fosse.

La tombe s’élevait déjà, rougeâtre et lugubre, au milieu des petites croix de bois. Zorka retourna aussi son mouchoir ; Slatka se tenait derrière elle, et s’essuyait les yeux ; elle dit aussi quelque chose que Jella ne comprit pas ; la fille ne cessait de penser que les hommes comblaient à présent un trou qu’ils avaient creusé eux-mêmes.

Lorsqu’elle fut demeurée seule, près de la tombe fraîche, le désir lui vint d’enlever avec ses ongles cette terre ennemie que des ennemis avaient apportée. Elle se pencha pour y plonger les mains, mais ses deux bras s’ouvrirent et elle tomba en avant, épuisée, comme si à travers tant de mottes, elle avait voulu serrer sa mère sur son cœur…

De l’autre côté du hallier desséché, Jagoda était assise, solitaire, sur une tombe défoncée, et hochait la tête.

— Je l’avais bien dit, n’est-ce pas ? Elle est revenue.

Jella regarda superstitieusement la vieille, grelottante et grise.

— Tout revient, — grommela Jagoda, d’un air fatigué, — mais pas comme les hommes l’espèrent. Autrement. Tout à fait autrement.

La fille passa ses deux mains sur son visage :

— La mort est épouvantable.

— Ce n’est pas vrai ; la vie est épouvantable. L’action de