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AU PAYS DES PIERRES

lui coupa la route. Au-delà se trouvait une maison à laquelle elle avait bien des fois songé ! Sur le talus se tenait un homme qui l’avait renvoyée et qui pourtant l’attendait chaque jour.

Jella se mit à pleurer. L’homme prit entre ses deux mains la tête de la fille et la serra craintivement sur son cœur… Dans cette minute silencieuse, l’un était si vieux, l’autre si tendrement jeune ! Tous deux sentaient qu’ils avaient besoin l’un de l’autre.

Et au bout d’un mois la fille et l’homme se marièrent, en bas, dans le vallon, dans l’église du village.



XVII


C’était de nouveau l’automne, un autre automne. Le vent sifflait dans la forêt. Il emporta le son des clarines et saisit, devant le tunnel, le long cri strident d’un train.

Jella se releva sur ses coudes dans l’herbe. Elle regarda comment la fumée se déchiquetait aux branches. Il y avait deux ans déjà qu’elle vivait dans la maison de garde et elle s’étonnait toujours lorsqu’elle voyait la fumée fuir parmi les arbres.

Deux ans ! Et il lui semblait qu’un nombre infini de dimanches s’étaient écoulés depuis qu’elle était venue du vallon dans la montagne. Souvent, elle se rappelait son mariage. Et alors elle n’était pas heureuse ; elle avait honte d’être triste, de redouter l’inconnu de la vie et cet homme inconnu qui avait le droit, depuis l’autel, de s’approcher si près d’elle.

Au village, il n’y avait que la tombe de sa mère qui la regrettait. Dans la clairière, elle n’avait pris congé que des chèvres. Elle se rappela que lorsqu’elle vint ici, pour la dernière fois, elle s’était frottée contre le cabri noir ; puis, en chemin, elle s’était retournée sans cesse afin de le regarder, comme si avec le petit animal, une part d’elle-même l’avait quittée, part de son être qui était pleine de sauvage souffrance, qui avait froid, qui pleurait, qui avait faim, mais qui était libre, et qui parfois souriait et chantait aussi.

Jella maintenant, n’avait plus faim ni froid. Pierre l’aimait