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LA REVUE DE PARIS

mourir est encore de la vie. La mort est autre chose ; elle est bonne, car elle est paisible.

La vie juvénile fut prise un instant, dans Jella, d’un sentiment d’horreur pour la vieille mendiante. Cette fois, Jagoda ne pouvait lui venir en aide. Elle parlait de la mort. Elle ressemblait à la mort. Et Jella cherchait tout autre chose. Inconsciemment, son regard s’échappa vers les montagnes.

Les montagnes étaient immenses dans le ciel immense ! Et soudain, elles commencèrent d’appeler Jella vers elles.

Elle se mit en marche. Puis elle quitta le chemin. Le cimetière reculait, engourdi, dans le bas-fond. Les petites croix s’enfonçaient dans les tombes. Les maisons s’allongeaient ; leurs toits seuls émergeaient parmi les pierres. À la fin, l’église même s’accroupit au fond du vallon.

L’herbe rouge et rude croissait dans la clairière. Sur le flanc de la montagne, les sapins venaient au-devant de Jella, verts et gémissants. Et là, sur les hauteurs calmes des pics éternels, elle songea de nouveau à sa mère. L’enterrement, la dernière nuit, tout ce qui s’était passé hier et aujourd’hui, s’enfonça au plus lointain de sa mémoire. Et les jours anciens surgirent en avant. La réalité devint invraisemblable. Jella ne pouvait plus concevoir que sa mère n’était plus. Elle recommença de l’attendre, avec cette triste patience que l’on a pour l’attente éternelle de ce qui ne doit plus revenir.

Une sourde fatigue l’envahit. Elle aurait aimé se coucher sur le sol ; mais la terre était froide sous ses pieds nus. Elle aurait voulu se pencher sur les rochers, pour y appuyer sa tête.

Mais les rochers étaient durs.

Soudain, son cœur devint inexprimablement lourd dans la froide et muette solitude de pierre. Que cherchait-elle ici ? Les hommes, les montagnes, le silence… rien ne pouvait la soulager.

Devant ses pieds, une petite tache noire remuait dans la mousse glacée. Un insecte engourdi grimpait péniblement vers la ravine où luisaient, à travers l’ouverture des rochers, les rayons inertes du soleil.

Jella se souvint qu’elle aussi avait froid. Elle aussi se contenterait à présent d’un petit soleil d’hiver. Elle continua de gravir la montagne à travers la forêt. Une barrière blanche