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AU PAYS DES PIERRES

encore le regard… Ensuite elle observa, inconsciemment, ce qui se passait derrière elle et ne se douta pas que ces pas d’homme, en s’éloignant, piétinaient le souvenir de Davorin.

Le soir, Pierre appela André Rez dans la chambre de service. Jella était assise, dehors, près du hangar, sur les traverses pourries rassemblées là pour être brûlées.

Elle écouta la voix des deux hommes qui se parlaient de temps en temps. Elle sentait en elle-même un calme silence, et ses mains s’ouvrirent dans la nuit azurée des montagnes, comme pour saisir le printemps, — le printemps, pareil à elle, vivant et jeune ! — comme si elle voulait saisir cette chose qui était le désir le plus inconscient et le plus obscur de son cœur.

Le jour suivant, Jella s’attarda avec ses chèvres, dans la montagne. À travers la porte ouverte de la maison de garde, la lumière se projetait déjà sur la palissade brise-vent. Elle regarda par la fenêtre de la cuisine. Deux personnes étaient assises près du feu. Elle passa sa main dans ses cheveux et marcha plus rapidement.

Quand André Rez se leva, il parut encore plus grand et plus fort que dans la forêt. Et le corps maigre et courbé de Pierre était plus petit que d’habitude. La femme enfant se retira dans un coin et darda ses regards sur les deux hommes. De petites fourmis brûlantes grouillaient dans l’air, près de la pipe de Pierre. Le gars fixait, immobile, la flamme. Jella ne comprenait pas comment on pouvait regarder un même point aussi longtemps.

Ils se taisaient. Puis un mot étranger frappa l’oreille de la femme. André Rez parlait de quelque grande terre noire, dont il n’avait même pas reçu une charretée.

— Mon père était paysan. Le bien n’était pas suffisant pour les quatre fils. Voilà pourquoi j’ai dû venir ici, dans les montagnes.

Ils restèrent un instant silencieux. Lorsque le gars parla de nouveau ; il y avait de la dignité dans sa voix.

— Pourtant, moi aussi je suis un paysan ; un paysan qui n’a ni terre, ni femme, ni enfant, un paysan pauvre.

Jella ne regardait plus que son visage. André parlait lentement, en traînant. Au pays d’où il était venu, les champs de