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AU PAYS DES PIERRES

enfumée du chauffeur. Il jeta vers la femme une rose d’automne froissée, couverte de poussière de charbon.

La fleur tomba dans la boue. Jella ne la ramassa pas, mais la regarda longtemps. Elle sut alors que c’était l’automne, elle ne s’en était pas aperçue jusque-là.

Elle ne se rendit également pas compte que l’hiver était venu comme les autres fois. Car André était souvent assis près d’elle, devant le feu, et la grande chaleur augmentait toujours en elle. Pourtant le vent glacial projetait une neige dure entre les vitres. Sous le ciel bas, aveugle, une double machine traînait un convoi en suffocant parmi la tourmente de neige. La forêt disparaissait dans les tourbillons. On ne voyait pas les gens enfouis sous les pelisses. La neige entrait sous la porte, dans la cuisine. La nuit, les renards glapissaient au fond des gorges, et autour de l’étable des ombres grises, touffues, rôdaient en s’aplatissant, sur le sol blanc et glacé.

Puis le printemps darda à travers le Karst. Le soleil parcourut les montagnes en y laissant des traces dorées, qui séchèrent les montagnes humides.

L’été revint ; semblable à celui de l’année dernière ; mais cet été n’appartenait plus à Jella.

Ce n’était pas une apparence, c’était un pressentiment…

Dans la forêt, les framboises mûres se détachaient déjà des branches avec un léger bruit. Devant la maison de garde, sur un fichu bleuâtre, huileux, des fèves séchaient au soleil et s’entrechoquaient au passage du vent.

Pierre, travaillait, en bas, près du fossé. Il était agenouillé sur une traverse, entre deux rails et tirait le coin qui se desserrait plus facilement que les autres. Lorsque Jella chassa près de lui les chèvres sur le sentier, il leva les yeux sur elle.

— Où vas-tu donc de nouveau ? — questionna-t-il très bas, comme s’il avait voulu se faire pardonner, par sa voix, sa demande.

— À la forêt ! — s’écria Jella avec humeur, et elle alla plus loin.

L’homme se courba sur les rails avec un faible soupir condescendant. Il fit, avec son mouchoir, un tampon sous son genou douloureux et se remit au travail.

Jella s’arrêta au tournant. Le garde ambulant qui demeurait