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LA REVUE DE PARIS

regards se heurtèrent. Ils demeurèrent un instant en face l’un de l’autre, comme deux grands ennemis qui s’aiment. Puis, tout à coup, la tête de Jella se rejeta en arrière dans une offre inconsciente. Ses lèvres s’ouvrirent, comme si elle voulait boire. André n’en pouvait détacher ses yeux. Ses cils devinrent lourds, ses yeux ivres ; Jella vit sa propre beauté sur le visage du jeune homme. Et son corps n’oublia plus les mouvements de la séduction. Elle frémit de ce nouveau pouvoir dangereux qu’elle ressentait dans son être, qui y avait toujours été, mais qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici.

Elle n’était déjà plus faible et humble. Elle n’était plus à André ; elle s’était reprise. André était à elle. La femme devint la plus forte, parce que, dans cette minute, l’autre aimait mieux.

— Ce n’est pas moi qui irai avec toi ! C’est toi qui resteras ici avec moi !

Et dans son triomphe, elle rit sauvagement.

Le gars regarda dans l’air comme s’il cherchait la trace de quelque blessure à l’endroit où Jella riait.

Il ne parla plus, ni de cela ni d’autre chose. Et Jella ne pouvait entendre le silence d’André à cause de la vie bruyante, inquiète, qui était dans son propre cœur.

Tous les deux luttaient. L’un silencieusement, l’autre bruyamment, et ils ne savaient pas qu’ils luttaient. À présent, ils ne comprenaient plus que leur mutuelle étreinte, et alors même chacun d’eux était dans l’incertitude, dans la solitude.

Il n’y a pas de chemin plus long au monde que celui qui mène de l’homme à l’homme. Parfois, on peut voir par-dessus, entendre aussi les mots prononcés ; mais on ne peut jamais franchir la distance.



XXVI


La voie était noire et humide de pluie. Jella abaissa la barrière. Un train de marchandises passa avec un bruit de cliquetis sur la crête. Le machiniste cria quelque chose du haut de la locomotive. Sous son aisselle, surgit la face ricaneuse et