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AU PAYS DES PIERRES

— Tu vas à la puszta ?

— Oui, là-bas…

Les sourcils de la femme se froncèrent. Ils se croisèrent sur son front en une seule ombre dangereuse.

— Et tu pensais aussi à la puszta ?

— Oui, aussi à la puszta.

— Ah ! Andrya ! (Son sein se souleva rapidement, effroyablement.) Je t’étranglerai si tu aimes là-bas quelqu’un !

La colère méfiante lui montait à la tête en vagues sombres. Elle n’était plus maîtresse de son corps. Elle porta ses deux mains au cœur du jeune homme ; elle aurait voulu déchirer, déchiqueter la chair d’André, afin de ne pas souffrir seule, afin que l’autre aussi eût mal. Son visage était presque laid ; sa bouche se convulsait.

— Je te maudirai si tu m’abandonnes ! J’anéantirai ta vie ! Je le jure sur Dieu !

Le regard du jeune homme redevint dur et insensible. Il s’écarta hostilement de la femme. Il voyait de nouveau en elle tout ce qu’il ne pourrait aimer, tout ce qui lui faisait souhaiter le départ. Déjà il ne s’accusait plus, déjà il ne plaignait plus l’autre.

— Laisse-moi ! — dit-il rudement, lorsque Jella lui barra le chemin. — Il faut vivre et c’est impossible ainsi !

La femme revint à elle. Elle comprit qu’elle ne pouvait plus retenir André. Elle se rendit compte qu’elle avait perdu la partie et devint pâle.

— Je n’ai jamais su que tu étais si fort ; tu as toujours été si docile !

Elle éleva sa bouche jusqu’au jeune homme, avec humilité :

— Embrasse-moi, au moins.

André, comme s’il ne l’entendait pas, regardait fixement au-dessus d’elle.

Jella frémit. Elle rejeta sa tête en arrière. Elle voulait lutter encore ; cependant l’ancien beau geste n’était plus de la séduction, mais seulement une supplication misérable. Puis elle essaya de sourire. Enfin elle se détourna lentement d’André et passa ses deux mains sur son visage, comme si ce dernier sourire lui avait fait mal à la bouche.