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AU PAYS DES PIERRES

Elle était assise, les yeux inanimés, près du foyer. Elle écouta le tic-tac de la pendule, puis se leva indifférente, alla vers la fenêtre, s’accrocha au petit rideau rouge, le serra longtemps dans ses mains, en faisant un effort incompréhensible qui la fatigua, tandis qu’elle regardait la pluie. L’eau glissait épaisse sur les carreaux, telle de l’huile. Du côté de la forêt, les gouttes tombaient uniformément, comme si une quantité de fils de fer mouillés avaient été tendus entre le ciel et la terre. Fils brillants de la pluie ! Jella se figura tout à coup qu’elle était dans une prison. Elle ouvrit brusquement la porte. Elle s’élança contre l’averse, comme si elle avait voulu déchirer le filet de fer pour redevenir libre.

Elle marcha plus lentement dans la forêt détrempée. Sa blouse se colla, toute mouillée, à sa poitrine. Le brouillard de sa pensée s’allégea un peu. Là, sous les arbres, le souvenir d’André était plus proche. Quelque chose de lui était resté parmi les arbres. La forêt, témoin de leur amour, répétait dans ses gémissements les paroles d’autrefois.

— Andrya !… Mais moi je t’aime !

C’est tout ce qu’elle pouvait penser. C’est tout ce qu’elle savait de précis. Le reste n’était qu’un demi-rêve trouble et inquiet.

Puis, un jour, elle se réveilla. Elle marchait avec ses chèvres sur le flanc de la montagne. Au milieu des racines nues, des champignons rouges brillaient. Dans le soleil d’automne, un buisson de sorbier saignait sur la muraille de roc. Jella regarda dans le sous-bois. Elle entendait depuis longtemps du bruit dans le hallier, lorsque soudain, le bas des arbustes s’agita. Maigre et boueux, Sajo se glissait sur le sol.

La respiration de Jella s’arrêta, comme si elle avait vu un spectre. Elle regarda fixement derrière l’animal, mais personne ne vint à elle de la forêt. Ses yeux se voilèrent, puis elle les reporta de nouveau, avec une haine fielleuse, sur le chien de la puszta.

À présent elle aurait pu le frapper, l’anéantir, pour qu’il n’en restât plus trace. Son visage devint cruel ; sa main fit dans l’air un mouvement, comme si elle coupait brusquement quelque chose avec un couteau.

Sajo laissait pendre tristement son cou et se mit à gémir.