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LA REVUE DE PARIS

— C’est mon homme qui part. Il est en train de payer pour le billet. Nous sommes venus seulement jusqu’ici.

— Va-t-il à la puszta ?

— Est-ce que je sais, moi, s’il y là-bas une puszta ! Il y a des choses au delà de la mer.

Les idées confuses se troublèrent dans la tête de Jella. La femme et l’enfant se mirent à ricaner. Elle se retourna subitement vers eux.

— Et est-ce que l’homme part pour longtemps ?

— Hélas ! pour un très long temps ; mais ça passera tout de même… Nous sommes deux à attendre son retour. C’est moins dur.

Le paysan qui venait de prendre le billet cria derrière la porte. La femme se leva.

Jella les regarda. « Nous sommes deux à attendre son retour. C’est moins dur… Moi, j’attends toute seule ». Elle se pencha pour voir une fois encore l’enfant. L’homme galonné arrivait en flânant sur la voie. La terre semée de poussière de charbon craquait sous ses pieds. Jella ne l’attendit pas. Elle se mit en marche pour rentrer. Elle n’avait plus rien à faire là. Elle recommença la longue route, sans espoir, péniblement. De nombreuses baies rougeoyaient sur le buisson de sorbier. Sur le sentier, pendait la branche d’un pommier sauvage. Elle aussi était couverte de fruits. Jella passa sa main le long de la branche sans comprendre ce qu’elle éprouvait.

« Nous sommes deux à l’attendre… deux… » Ça lui fit singulièrement mal d’être seule à attendre. Elle pensa pour la première fois qu’elle pourrait aussi avoir des enfants. Dans son ardeur assoiffée, égoïste, elle n’avait voulu de l’amour que l’amour, c’est-à-dire les baisers… Et elle avait bu, et rien n’était demeuré de l’étreinte d’André, excepté le grand tourment…

Sa poitrine sifflait en haletant, comme si, avec chaque pensée, elle soulevait un poids lourd. Jella s’arrêta épuisée au bord de la route, et avec des yeux vagues elle regarda, au-dessus de la sapinière, un morceau de rocher qui se dressait isolé dans le ciel. Ce rocher était si dénudé, si désolé ! L’été, en passant, ne lui avait pas laissé un seul brin d’herbe… Pourtant,