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LA REVUE DE PARIS

s’appuya contre un arbre en regardant les lignes uniformes.

Il lui semblait que ces lignes bougeaient sous ses yeux, sortaient en courant du papier et s’égaraient dans la forêt. Elle connaissait mal les caractères et il y en avait une telle quantité sur la page blanche, de grands, de petits, d’inconnus !

Elle renversa sa tête en arrière et contempla la lettre. Elle aurait voulu lire, comme cette fois où Pierre lui avait mis un livre dans la main. Mais les caractères écrits étaient tout autres. La sueur perla sur son front. Elle s’assit sur une racine saillante. Elle mit ses coudes sur ses genoux. Elle rapprocha de ses yeux l’écriture d’André de plus en plus près, si près qu’elle pouvait déjà la toucher avec sa bouche, et pourtant le sens de cette écriture restait insaisissable et lointain !

Elle laissa désespérément la lettre sur ses genoux. Ses deux mains se réunirent et pour la première fois depuis longtemps elle se remit à prier.

« Mon Dieu ! aide-moi ! »

Elle ne pouvait lire ce qu’André lui annonçait et elle n’avait personne au monde à qui elle aurait osé montrer la lettre. Qui pouvait savoir ce qu’André avait écrit pour elle, sur ce papier ? Pierre ne devait pas le voir, ni cette femme qui, au delà du tunnel, habitait dans l’autre maison de garde. Le garde ambulant raconterait tout dans le village. Et alors… Jella se rappela Jagoda. Ses yeux brillèrent. Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt. Jagoda, même ne sachant pas lire, devinerait ce qu’il y avait dans la lettre. Elle savait plus de choses que les autres. Elle comprenait même ce que disait la forêt. Elle sentait quand reviendraient ceux qui étaient partis…

Jella se releva vivement. Elle se prit à rire. Elle pressa contre son visage l’écriture d’André.

— N’est-ce pas que tu m’aimes ? N’est-ce pas que tu me l’écris ? N’est-ce pas que tu reviens près de moi ? — Et comme elle courait presque en allant vers son ancien village, elle entendait sa propre voix qui parlait, lancinante dans sa tête…

« Il m’aime. Il écrit… Il écrit qu’il revient !… »

Elle dépassa le talus, la forêt. Le sentier descendait déjà vers le vallon. Elle reconnut les rochers, le petit pâturage des montagnes, les arbres, la gorge. Elle se rappela Davorin, les gars, les chèvres, toute l’existence de jadis, comme si elle marchait