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LA REVUE DE PARIS

comme si elle avait regardé dans les yeux ouverts d’une morte.

Elle marchait sur la planche du torrent. L’eau gémissait encore. La planche était glissante et noire comme autrefois, mais le hallier s’était resserré aux environs du moulin, et seuls, deux rayons sombres de la grande roue émergeaient du courant écumant. Au contact de Jella, les feuilles sèches tombaient des branches avec un froissement. Elle chercha en vain le petit sentier sur lequel, tant de fois, elle avait vu Jagoda marcher vers le moulin, vite, vite, toute courbée. L’herbe poussait partout. On ne distinguait plus le seuil. Il y avait longtemps que personne n’était venu par là…

Elle s’appuya fatiguée, au chambranle de la porte. Elle courba la tête, comme si, dans la grande dévastation, elle écoutait le passé… Puis elle retira de dessous sa blouse la lettre d’André, et en la regardant ses yeux se remplirent de larmes.

Jamais elle ne saurait ce qu’il y avait dans la lettre ! Et personne ne pourrait plus lui dire que tout le monde revient…



XXXII


L’automne agonisait sur la crête des montagnes. À la pointe du jour, un brouillard humide flottait déjà sur les vallons. On ne voyait plus la mer, en bas, dans le lointain, par l’ouverture rocheuse.

Ce jour-là, Pierre était parti chercher la feuille d’avis. La nuit venait. Il neigeait sur les sommets, comme si l’air commençait à tomber en nappe blanche, des hauteurs. Un courant d’air froid soufflait contre le talus. Jella était sur le seuil, lorsque son mari surgit de la gueule du tunnel. Il marchait plus vite que d’habitude et il criait aussi quelque chose.

« André vient », pensa la femme. Son cœur frappait rapidement ses côtes, comme un marteau. Elle se fit mal aux yeux pour mieux voir ce que Pierre agitait dans sa main. L’homme apportait un papier et riait avec une bonhomie maligne.