Et tu en conviens sans rougir, Lorenzo ?
Sans rougir le moins du monde. En quoi donc suis-je coupable de ne pouvoir surmonter une répugnance toute physique, indépendante du raisonnement et de la volonté ?
Tout cela est une feinte odieuse, une lâche adulation. Nous t’avons vu ardent aux idées de gloire, impatient jusqu’à la fureur devant l’ombre d’un affront. Nous t’avons vu même manier le fer avec adresse. Dans ce temps-là, le désir de devenir célèbre était la seule passion qui dévorât ton âme inquiète et sauvage. Notre grand Strozzi nous prédisait que ton nom vivrait parmi ceux des héros de la liberté. Mais ce séjour à Rome t’a perdu, Lorenzo, et tu es devenu pire qu’une femme. Tu t’es courbé jusque dans la fange devant le tyran…
Le tyran ! Ce peut être le vôtre. Quant à moi, si je le sers avec soumission, du moins je ne le maudis pas derrière l’abri des murailles. Si j’étais son ennemi, je m’en débarrasserais, sans faire tant de réflexions. Mais pourquoi le haïrais-je ? Il paie mes dettes et rit de mes écarts, au lieu de les poursuivre en pédagogue et de me laisser mourir de faim. Sur mon âme ! J’ai trouvé plus d’indulgence dans le cœur de Tibère que dans celui de tous mes parents.
Oh ! Lorenzo ! quelle indulgence ne lasserais-tu point ?
Je crois bien ! Je n’ai plus personne qui me soutienne. Les amis, c’est comme les pierres d’un mur. La première qui se détache entraîne toutes les autres. Que votre honneur reçoive une brèche, chacun y met la main pour l’élargir, et d’une égratignure, ils nous font une plaie. La haine se forme de trois choses : l’envie, la calomnie, le mépris. L’abandon couronne l’œuvre. Aussi l’homme sage se passe d’amis, parce qu’il sait que ce sont des aveugles, qui saluent l’habit tant qu’il est neuf. S’il se déchire, adieu : l’homme qui est dessous n’est plus rien pour eux et ne doit pas espérer qu’un ami le couvre du coin de son manteau. Allez, vous m’avez appris ce que vaut votre attachement, et vous m’avez par là affranchi de tout devoir envers vous. Vous n’avez donc plus le droit de me demander compte d’une vie que je consacre tout entière au plaisir, le seul traître assez aimable pour se faire pardonner tous ses torts.
Il y a une rudesse bien amère dans toutes ces métaphores. Mais je n’y ferai pas attention, parce qu’on sait que ta fantaisie est de tout dénigrer et de tout nier. Je suis venu avec la résolution de ne me