tueux fournisseurs de victuailles continuaient à venir crier leur marchandise devant la porte de service, étonnés de ne plus être accueillis comme d’habitude. On leur faisait signe, par la fenêtre de la cuisine, qu’on ne voulait rien acheter. Ils protestaient de leur désintéressement, insistaient sur la qualité de la volaille ou du légume apportés, qu’ils paraient des diminutifs les plus cocasses, et souvent ne s’en allaient qu’en abandonnant la marchandise dans l’embrasure de la galerie vitrée.
Ainsi la misère fut rendue supportable jusque vers le milieu de février, époque à laquelle M. Max déclara un jour à sa femme qu’il ne possédait plus un sou. Rien, pas même de quoi faire le marché de la journée.
— Et tu ne peux pas emprunter à quelqu’un ? — lui demanda-t-elle.
— Non ! — lui répondit-il. — Seuls les pauvres empruntent pour manger. Les riches, lorsqu’ils sont ruinés, il ne leur reste qu’à mourir.
Anna vint pleurer sur l’épaule d’Adrien et lui répéter cette « incroyable réponse » de son mari.
— Me voilà revenue aux jours de mon enfance, quand nous vendions des objets de ménage pour acheter du pain !
Adrien, qui ne recevait plus de salaire, lui remit une centaine de francs pris sur ses économies. Anna les accepta sans façons. Puis, ce fut le tour de Hassan, le cireur, de lui remettre tout son magot, un millier de francs. Mais, ces sommes-là étaient des bagatelles pour une maison dont les patrons changeaient de chemise de soie tous les matins, nourrissaient les chiens avec des biftecks et fumaient des havanes pour vingt francs par jour. Bientôt, ils eurent à choisir entre fumer ou manger, entre la chemise changée tous les matins ou le chauffage des appartements.
Max et Bernard Thüringer n’hésitèrent pas un instant : ils optèrent pour le havane et les sept chemises de la semaine. Tous les deux ou trois jours, la mère Charlotte, traînant péniblement ses jambes enflées, allait en ville bazarder quelque bibelot, argenterie ou bijoux, ayant toujours soin, à ces occasions, de faire sa petite réserve de schnaps. Les frères Thüringer faisaient aussitôt la leur, de cigares. Pour