Page:Revue de Paris - 1932 - tome 6 - numéro 23 (extrait).djvu/8

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que tu amènes des lecteurs, ce qui crée une confusion dans les esprits. Et si un jour la fantaisie te prend de vouloir faire le don Quichotte dans les mêmes colonnes de Dimineata, tu verras de quelle façon le « camarade » Mille te bottera le derrière.

— Ce serait une botte bourgeoise. Le coup ne porte pas sur le cœur. Mais dis-moi plutôt où tu en es avec ton départ forcé ?

— Ah, tu ne sais pas ? Eh bien, ne pouvant pas régler toutes mes affaires dans les trois jours qu’on m’avait donnés, j’ai fait hier une demande de prolongation, et ce matin, à la première heure, on est venu m’apporter un nouveau délai de trois jours.

— Puis, on renverra ça aux calendes grecques, — dit Adrien.

— Je ne te garantis pas cela, mais, ce qu’il y a de certain et qui me réjouit beaucoup, c’est que maintenant je ne partirai pas sans avoir tiré quelques derniers canards dans mes marécages. Ce sera donc pour la fin de cette semaine, dimanche à la pointe du jour. Si tu tiens encore à m’accompagner, viens coucher ici samedi soir. À deux heures du matin nous serons dans notre canot. De retour, bien avant midi, je te présenterai au peuple syndicaliste : « Voici votre Azog ! » Et je lui ferai mes adieux.

Adrien accepta et partit. Le besoin d’écrire ses articles, le plus vite possible, le força de négliger, deux jours de suite, son travail domestique. Loin de le gronder, Anna vint dix fois par jour, dans sa chambre, lui faire de douces cajoleries. Elle se parait de toutes les fanfreluches qu’elle savait être dans le goût d’Adrien. Elle adopta les corsages les plus vaporeux et surtout ne manqua pas de s’attarder près de lui le matin, au sortir du lit. C’est qu’elle-même avait la tête tournée, depuis qu’Adrien s’était révélé journaliste de talent.

Il écrivit deux jours et deux nuits, ne prenant que peu de nourriture et ne se reposant qu’une heure sur dix. Il avalait, en revanche, de grosses tasses de café noir et fumait comme un Turc. Il resta presque passif aux caresses d’Anna, décidé à la garder « sublime ». Et elle, tendrement honnête, ne dépassa pas les limites les plus avancées de l’étourderie féminine,