Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/429

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354 LA REVUE DE L'ART sente lui-même, la tête entre les mains, l'air accablé, et c'est le Désespoir; il faille portrait de ses soeurs Zoé et Juliette ; enfin, en 1844, il envoie au Salon le Courbet au chien noir — exécuté deux ans auparavant, — qui y est admis. Courbet a vingt-cinq ans... Nous vîmes à la Centennale de 1900 ce Courbet au chien noir, où la touche témoigne de liberté, de force et d'adresse. Encouragé, Courbet envoie l'année suivante cinq toiles, dont une seulement est reçue, le Guillarero, qui est aussi un «portrait de l'auteur». C'est encore Courbet — et quel Courbet sentimental ! — qui s'est peint, vers le même temps, dans les Amants à la campagne, tenant enlacée une jolie fille brune, au profil rêveur. Et c'est Courbet, l'Homme blessé du Louvre, qui fut peint en 1844; c'est Courbet, l'Homme à la cein- ture de cuir ; c'est Courbet, l'Homme à la pipe. Courbet, à cet âge-là, était un beau modèle : «  Mince, grand et souple, »— écrit Philippe Burly — «  il portait de longs cheveux noirs et aussi une barbe noire et soyeuse... » Il avait de « longs yeux langoureux, un nez droit, un front bas et d'un relief superbe. ». . Voilà donc lés débuts de l'artiste. Jusqu'à présent, il est content de soi et content des autres. Il ne s'est pas indigné qu'on lui eût refusé quatre tableaux, et il songe à composer une grande toile qui fasse décidément parler de lui. Il est allé montrer une tête d'étude au peintre Hesse. lequel lui a déjà souvent donné des compliments : «  Il m'a dit que si je faisais, pour l'an qui vient, un tableau peint comme cela, il me vaudrait un beau rang parmi les peintres. J'admets qu'il y ait de l'exagération dans ses paroles. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il faut qu'avant cinq ans j'aie un nom dans Paris. Il n'y a pas de milieu, car je travaille pour cela. C'est dur pour en venir là, je le sais... Pour aller plus vite, il ne me manque qu'une chose, c'est de l'argent, afin d'exécuter hardiment ce que je pense ». Ilyadans ces paroles une sincérité d'accent non douteuse. Courbet ne se fait pas d'illusions. Il est loin d'être encore « l'homme le plus orgueilleux de France ». Il se sent fort, mais il a de la modestie. Il devine l'àpreté de la lutte prochaine et il arme sa volonté. Nous sommes certains que dès ce moment il rêve de peindre des choses vraies et vivantes, des réalités pittoresques. Il a reçu quelques commandes de portraits, ce qui l'ennuie et même l'irrite, car il en a assez « des femmes qui veulent être blanches quand même », et « des hommes qui veulent être habillés en dimanche ».