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Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/549

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452 LA REVUE DE L'ART la projection d'une figure sur un plan ; leurs personnages n'ont que deux dimensions ; la troisième, — la profondeur, — leur est toujours apparue comme un « mal nécessaire », qu'on subit seulement quand on ne peut pas l'éviter. Bien plus, ce qu'ils représentent n'est pas l'image subjective telle qu'elle nous est donnée par nos sensations visuelles, c'est une image objective, reconstruite abstraitement sur les données des sensations tac- tiles. L'homme des reliefs égyptiens, avec ses jambes et sa tête de profil, son buste et son oeil de face, n'est pas celui que nous voyons, mais c'est bien celui qui existe, l'homme complet avec tous ses membres, que nous ne pouvons lui restituer qu'en suppléant aux insuffisances de la vue par les expériences complémentaires du toucher. Et, après avoir été celle de l'art oriental et des premiers siècles de l'art grec, cette conception est toujours restée comme latente sous les oeuvres les plus libres de l'époque hellénis- tique et impériale. Considéré à ce point de vue, le relief crétois est réaliste, en ce qu'il reproduit les trois dimensions des choses, et qu'il met même à les reproduire une sorte de coquetterie, multipliant à plaisir les superpo- sitions de plans et les recouvrements de parties ; il est impressionniste, en ce qu'il traduit uniquement — ou presque uniquement

des impressions visuelles, atteignant même parfois jusqu'à la vérité paradoxale d'un instan- tané photographique. Enfin, les artistes crétois se séparent essentiellement des Orientaux par l'idée même qui les inspire. Que représentent les fresques de Cnossos. les reliefs de Phaestos ou de Vaphio ? Sont-ce des scènes pittoresques ? Sont-ce des scènes religieuses ? Peu nous importe, puisque, de toute manière, l'artiste les a traitées en sujets de genre, et cela seul suffit à -creuser un abîme entre lui et les vieux sculpteurs de la Chaldée et de l'Egypte. Ceux-ci ne travaillent qu'à célébrer l'idée divine et l'idée royale ; elles seules les préoccupent, et les moyens par où elles s'expriment n'ont jamais cessé pour eux d'être des images. Les Crétois ont regardé avec un intérêt passionné et avec une sorte de tendresse la nature qui les entoure, l'homme, l'animal et la plante. Mais s'ils annoncent bien ainsi le peuple qui « créa les sciences philosophiques et naturelles, celui qui proclama que l'homme est la mesure de toutes choses», s'ils rejoignent les plus indé- pendants des sculpteurs alexandrins, du premier bond ils les dépassent, car les Alexandrins, dans l'harmonie du cosmos, ne se sont guère attachés