LES PORTRAITS D'ALFRED DE MUSSET 465 et qu'ils sont restés tous deux à causer peinture, en pleine rue, jusqu'à deux heures du matin 1. Plus tard, Delacroix se lia également, et de façon beaucoup plus intime, avec Paul de Musset, qui s'entremit en faveur du peintre lors d'une candidature de celui-ci à l'Institut en 1838. Ces rela- tions d'Eugène Delacroix avec les frères Musset se poursuivirent long- temps, et malgré quelques divergences d'opinions, il ne paraît pas que leur cordialité ait jamais été troublée 3: elles expliquent donc tout natu- rellement la dédicace du portrait appartenant à M. Stanislas Meunier. D'autre part, si l'on se souvient que les portraits peints par Delacroix sont des oeuvres de jeunesse destinées à des amis 4 et presque tous anté- rieurs à 1840, il semble que l'on peut donner comme dates extrêmes à la peinture qui nous intéresse les années 1830 et 1840, c'est-à -dire la placer entre la vingtième et la trentième année d'Alfred de Musset. Le portrait, cependant, paraît représenter un homme ayant plutôt dépassé la trentaine. En outre, on remarquera la saillie caractéristique des pommettes, soulignée par une ombre, que nous ne trouvons dans aucun des portraits d'Alfred de Musset. La barbe en collier touffu est aussi faite pour surprendre : nous n'avions pas encore vu le poète sous cet aspect. Enfin, voici qui est plus étrange encore : le personnage a les yeux bruns, les cheveux bruns, la barbe brune avec des reflets fauves: où sont les cheveux blonds et les yeux bleus d'Alfred de Musset ? Il y a bien la dédicace. Mais la dédicace porte : Eug. Delacroix à son ami Alfred de Musset; elle n'implique pas que le portrait soit néces- sairement celui d'Alfred de Musset 5, et Delacroix aurait-il donné à Musset le portrait de telle personne chère au poète, qu'il n'aurait point dédicacé son tableau d'autre façon. Ne serait-ce pas en ce sens qu'il faudrait chercher ? Une médiocre gra- vure, reproduite en tête de la Biographie d'Alfred de Musset 6, nous a 1. Tourneux, Eugène Delacroix devant ses contemporains, p. 64. 2. Ibid., p. 15 et 160. 3. Voir notamment: 1836, Tourneux, op. cil., p. 4 ; — 1851 : Correspondanced'Eugène Delacroix, éd. Burty, II, 68 ; et Tourneux, op. cit., p. 160 ; — 1852 : Journal d'Eug. Delacroix, II, 90 ; — 1857 : Ibid., III, 275. 4. Robaut, op. cil., n° 68. 5. Adressant en 1824 une aquarelle à son ami Thaïes Fielding, Delacroix la dédicace ainsi : Eug. Delacroix à son ami Fielding ; cette aquarelle représente un cavalier grec blessé (Robaut, op. cil., n° 24). 6. Éd. Charpentier, 1884. LA REVUE DE L'ART. — XX. 59
