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72 LA REVUE DE L'ART En 1840, le marquis de Castellane 1 reproduisait l'inscription de la base : In gremio matris residel sapientia patris. On l'avait perdue de vue quand le Congrès archéologique de Nîmes, en 1897 -, nous apprit qu'elle était à Beaucaire, dans la Maison de Narbonne, appartenant à M. Mil- let. Mais aujourd'hui la Vierge et l'Enfant Jésus ont leurs têtes, — bien mauvaises hélas ! — alors que le dessin que Revoil en donnait dans son Architecture romane 3 nous montre qu'au milieu du siècle dernier les deux tètes brisées et perdues n'avaient pas encore été remplacées. Nous pouvons, par exemple, nous faire une idée de ce qu'elles pouvaient, être, en rapprochant du groupe de Pommiers la Vierge de Fontfroide4 , près Narbonne (Aude), dont, à mon grand regret je n'ai pu obtenir de photographie. Il faut se contenter de renvoyer à la pl. LXII de Revoil. où elle est assez fidèlement reproduite pour un examen superficiel. La Vierge de Pommiers. M. de Lasteyrie croit pouvoir la reporter au second quart du XIIe siècle, sans se permettre de la vieillir davantage, comme le chanoine Durand croyait devoir le faire, en l'attribuant au XIe siècle. Il est en dernier lieu, enfin, une autre Vierge que nous allons trouver dans le Nord, si nous voulons traverser toute la France, qui me semble être le monument le plus surprenant peut-être de toute celle étude. C'est la Vierge dite de Dom Rupert 5 aujourd'hui au musée archéolologique de Liège, très polychromée, très dorée, qui servait autrefois de retable à l'abbaye de Saint-Laurent (fig. 8). L'inscription gravée sur le cadre : Porta hec clausa erit, non aperietur et vir non transibit per eam, quoniam Dominas Deus Israël ingressus est per eam, montre que l'artiste a représenté, non précisément la Vierge Marie, mais la Porte du Ciel, la femme destinée à accomplirla prophétie d'Ézéchiel 6 . Pour retrouver la souplesse du mouvement maternel, la physio- nomie câline et doucement protectrice de la Vierge, la figure poupine et intelligente de l'Enfant, ne faudra-t-il pas franchir certainementau moins deux siècles ? S'il est un artiste qui mérite réellementle nom de précurseur de la Renaissance, nul ne saurait, je pense, le refuser à l'homme qui fit naître, au commencement du XIIe siècle, sous son ciseau, cet admirable morceau de sculpture, si personnel, si nouveau, sur lequel 1. mémoires de la Société archéologique du midi de la France (1840), - . IV, p. 294. pl. IV, n°s 1 et2. 2. P. 93. 3. T. 111, p. 29, et pl. LXI. 4. Si l'abbaye de Fontfroide.futbien fondée en 1093 (Cauvet, Élude sur Fontfroide, .Montpellier. Séguin, 1875, in-8°. p. 179), c'est en 1130 qu'une colonie de Cisterciens vint agrandir et augmenterles bâtiments du monastère. La Vierge date très probablement de cette restauration. 3. Voici la légende de la Vierge de Dom Rupert, que je dois à l'amabilité de M. le Dr J. Alexandre, conservateur du Musée archéologique de Liège. Rupert, originaire de Liège ou des environs, entra fort jeune comme oblat à l'abbaye bénédictine de Saint-Jean de Liège. Ayant l'esprit lourd et borné, mais fort désireux de s'instruire, il priait ardemment devant cette image pour obtenir le don de sapience. Un jour, il vit un rayon de lumière partir de la tête de la Vierge et le frapper au front. A partir de ce moment, son esprit s'ouvrit et il acquit une intelligence merveilleuse des Livres saints et devint un des plus savants théologiens de son temps. Il raconte lui-même ce fait, qui arriva en 1096, dans le XIIe livre de son ouvrage sur saint Matthieu. Rupert devint abbé de Deutz, près de Cologne, où il mourut le 4 mars 1135. 6. Ezéchiel, XLIV, § 2.