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madame de pompadour

avoir prévu tout ce que le Roi de Prusse pouvait entreprendre contre lui », il s’épand en malices envers Soubise, « à qui il conseillerait, s’il était à portée de couronner toutes ses vertus en se contentant avec bonne grâce de commander une réserve distinguée dans la grande armée », murmure-t-il insidieusement à l’oreille de l’Ambassadeur[1]. Stainville avait bien engagé le Prince de Souvise — au cas où il ne serait pas en force pour soutenir le choc de l’armée ennemie — à se retirer sur M. de Richelieu, lequel, en se portant sur Halberstadt, arrêterait vraisemblablement l’avance du Roi de Prusse : et y a-t-il apparence qu’il le jugeât de la même manière que lui écrivait Bernis ! Entre ces opinions visant toutes au même but — le rappel de Soubise — et formées d’inexactes données de la façon dont s’étaient passées les choses aux armées, Madame de Pompadour ne se laisse pas ébranler un seul instant par les vociférations qui s’élève autour d’elle et dans le public contre son favori. « Il dit (M. de Richelieu) que les troupes étaient à soixante lieues — écrit-elle en substance à Stainville, — et cependant, celles qu’il a amenées à Alberstadt (sic) ont bien fait ce chemin énorme ; il pouvait en faire un détachement pour M. de Soubise avant d’arriver avec toute son armée, chose qui a été fort critiquée. » Après quelques mots sur l’horrible position où s’es trouvé son malheureux ami : « M. de R… est jaloux de M. de Soubise ; il a été très fâché de ne pas l’avoir sous ses ordres, il aurait voulu avoir les cent quarante-cinq mille hommes, s’il existaient, et ce qui l’aurait encore plus affligé, c’est qu’il eût battu le Roi de Prusse… — lui déclare-t-elle pour la dernière fois — car tous ces débats lui causent d’insupportables vapeurs », de ce ton simple et convaincu qu’elle donne à sa pensée, en se gardant soigneusement d’en dire plus qu’elle ne sait, vu « son ignorance dans l’art militaire », ou qui s’écarte trop du bon sens et de la matérialité des faits[2].

À la Cour, l’émotion ressentie par cette suite de catastrophes avait jeté les esprits dans un tel désarroi que, toute autorité et

  1. Mémoires de Bernis.
  2. On peut lire cette intéressante lettre in extenso dans la Correspondance de Madame de Pompadour avec le Comte de Stainville qu’a récemment publiée le Général de Piépape, à qui nous adressons ici notre gratitude pour l’aide fournie à notre étude par cette importante source de documents.