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madame de pompadour

en conséquence, la nécessité d’une collaboration intime à la conduite de la politique du Royaume : « Votre séjour à Vienne, poursuit-il, doit être employé à retourner les esprits vers la paix pour cet hiver ; votre retour ici doit être marqué ou pour conclure cette paix, ou pour nous aider à soutenir une guerre malheureuse… Nous agirons dans le plus grand concert et, Dieu merci, sans jalousie de métier… Préparez votre retour ici sans donner d’alarmes où vous êtes. Quand il faudra fondre la cloche, la Cour de Vienne doit voir dans cet arrangement la sûreté de l’alliance. C’est le seul moyen de la rendre inébranlable[1]. » Comment résister à cette franche supplique ? La situation éclaircie de la sorte, Choiseul incline d’autant plus à penser comme Bernis sur le besoin de travailler à la paix, qu’il aperçoit chez Kaunitz une tendance moins vive à en rejeter l’idée ; l’Impératrice se montre, à la vérité, plus récalcitrante ; mais il ne croit pas son opposition irréductible s’il peut compter sur la collaboration de l’Abbé à ses négociations avec les Ambassadeurs Étrangers, et si l’on fixe un fond pour les subsides, parce qu’alors cette Princesse n’aura rien à craindre du changement de Ministre et reconnaîtra la fidélité du Roi à ses engagements.

Il ne tenait donc qu’à Madame de Pompadour de faire Choiseul Ministre des Affaires Étrangères. Ici, l’attaque revêt un caractère d’aigreur toute personnelle. Depuis longtemps, Bernis la poursuit de ses plaintes sur l’état de nos finances, de notre armée, de l’impossibilité où nous sommes, à l’entendre, de soutenir l’Impératrice sans nous mettre complètement à mal. Jusqu’à présent, elle s’est évertuée à le convaincre « qu’il est mieux placé que personnes aux Affaires Étrangères, que Choiseul est bien utile à Vienne ». Peine perdue ! Elle n’a pu calmer ses humeurs et, devant son obstination à se défaire de sa charge, elle finit par consentir à remettre au Roi un mémoire où il exposera à Sa Majesté les raisons qui le poussent à prendre cette décision. Au fond, Madame de Pompadour souffrait cruellement : honnie de la nation, accusée de tous les maux qui l’accablaient, elle se voyait livrée à un sort affreux par celui-là même qu’elle avait élevé si haut et qui ne craignait pas de lui

  1. 26 août 1758. Mémoires de Bernis.