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augusta holmès.

furent attirés par le vieux père Holmès lui-même, dont la maison devint rapidement une manière de succursale, sinon du cours de chant, au moins du salon musical de M. de Sainbris.

M. Léon Séché a recueilli et enregistré les confidences verbales de Georges Clairin sur les séances qui s’y donnaient. Accompagné d’Henri Régnault, aussi mélomane que lui, il y venait fréquemment de Paris, où tous deux occupaient ensemble un atelier, boulevard Saint-Michel, en face de l’École des Mines. Ils s’embarquaient le soir, le plus souvent en tenue d’atelier, achetaient près de la gare Saint-Lazare une bouteille de vin, du pain, quelques victuailles qu’ils dévoraient en chemin de fer, et, vers les huit heures, arrivaient rue de l’Orangerie, où le vieillard les accueillait à bras ouverts dans la grande salle qui lui servait de bibliothèque.

Alors, la soirée commençait. Soirées merveilleuses, « véritables orgies de jeunesse, d’art, de musique et de poésie », écrit Saint-Saëns, qui aimait à évoquer le « lumineux souvenir » qu’il en avait gardé. Plus d’une fois, les deux peintres s’y attardèrent au point de manquer leur dernier train et d’être obligés de chercher à l’auberge un gîte pour la nuit, quittes à ne regagner Paris qu’à l’aube, à travers bois. L’été, par les nuits claires, on ne se mettait pas tant en peine et l’on envahissait le parc ou les bois du voisinage en chantonnant des chœurs à la belle étoile[1].

  1. Voici, d’après Theuriet (op. cit.), le récit d’une de ces folles promenades nocturnes : « Quelqu’un, voyant le ciel plein d’étoiles, proposa une promenade dans les bois de Satory qui étaient voisins ; on accueillit la proposition avec des cris de joie, et nos hôtes [les Sainbris], toujours aimables, eurent la bonté de nous y accompagner, ne voulant ni gâter notre plaisir, ni laisser sans chaperon la jeune musicienne au milieu de cette bande de poètes écervelés. Nous voilà grimpant comme des fous le long des sentiers de chèvres jusqu’au sommet du bois. La nuit était tiède, le clair de lune promenait sa féérie à travers les futaies : les châtaigniers en fleurs exhalaient une odeur pénétrante. De temps en temops, une voix chantait, ou bien une ardente discussion esthétique s’élevait sous les branches. H. C…, d’une voix creuse, lançait des imprécations lyriques aux bourgeois… Regnault, inquiet et nerveux, allait d’un groupe à l’autre, parlant de poésie, de musique, puis tout à coup tombant dans de profonds silences. À une lisière, les étoiles reparurent, on se mit à causer astrologie, et notre jeune chanteuse proposa à Regnault de lui dire la bonne aventure. Je la vois toujours, la tête à demi enveloppée d’un châle rouge, tenant gravement la main de l’artiste qui s’était agenouillé, tandis que le poète V… frottait allumettes sur allumettes pour permettre à la devineresse de deviner la ligne de vie et la ligne de fortune. Nous revînmes par la pièce des Suisses ; en rentrant à Versailles, près de la grille qui ouvre sur la rue de l’Orangerie, les gens de l’octroi, dévisageant d’un