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dans la littérature contemporaine.

ce grave et beau chapitre du volume Du Sang, de la Volupté et de la Mort :

« … Je suis allé voir l’automne à Versailles. Négligeant son Château sans cœur (mais du moins très sûr professeur de goût, qui enseigne à mépriser le trivial), j’ai donné tout le jour au plaisir d’écraser des feuilles mortes le long des jardins sublimes. Plantés à la fin du siècle dernier, ces arbres ont grandi dans l’isolement ; ils ne reçurent rien que de la nature. À peine si quelques sont du clavecin de Marie-Antoinette parvinrent jusqu’aux branchages courbés vers les fenêtres de Trianon, du temps qu’ils étaient de jeunes rameaux.

Autour de nous, les feuilles tombaient en tournoyant, et avec un léger bruit se couchaient où pourrir. L’émouvante journée sous un ciel violet ! Je n’ai jamais connu d’enterrement où l’on goûtât avec plus de volupté le repos des choses finies.

La solitude embellit tout. Les femmes abandonnées sont plus intéressantes que les amoureuses. Les feuilles mortes de Trianon, sous le soleil épuisé d’octobre qui péniblement parvient jusqu’à elles, sentaient le chloroforme. Car c’est bien là l’odeur qu’exhalent les matinées d’automne, où la nature se chloroformise, s’endort et meurt.

Nous arrivâmes enfin au lieu sublime, la Terrasse du Grand-Trianon. Sous le ciel fin du cœur de la France, des pavillons bas, des terrasses faciles, et toujours trois marches de marbre dégradé. Bois dormant jusqu’à l’horizon ! et, s’allongeant sous nos yeux, un long bassin qu’emplissent les eaux jaunâtres d’octobtre !

Sur cette grande cathédrale effeuillée de Versailles et des Trianons, j’écoute, je vois, je supporte tout un torrent d’indéfinissables beautés qui passe durant des heures sur moi… Ici, enfin, j’accepte la mort. Seul, novembre m’effraie, si noir, sans aucun désir de plaire, et qui fera de la pourriture avec ces feuilles qui sous nos pas avaient un bruit de soie froissée. »
(Du Sang, de la Volupté et de la Mort : Sur la décomposition.)

C’est dans le même esprit qu’un personnage du Chemin de Sable, roman de M. Jacques des Gachons[1], vient à Versailles en un moment de désespérance. Il demande donc au Parc, merveille de l’automne, le secours de ses exquises vertus consolatrices. Un soir, appuyé à la terrasse de l’Orangerie, il regarde le jour s’éteindre au delà des futaies. Et c’est alors qu’il croit entendre un des très vieux grenadiers enclos dans leurs caisses de bois lui murmurer que la vie ne vaut que grâce à la souf-

  1. Paris (Plon), 1910 ; in-12.