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36 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

circonstances, elle reproduira les percepts en accentuant plus spécialement tel geste, telle attitude, tel trait-de la physionomie ou tel détail du costume ; peut-être même l’image visuelle se doublera-t-elle d’une image sonore ; on croira entendre parler, on évoquera le timbre de voix, etc., bref, une multitude de souvenirs que ne relie au moment même aucun lien objectif, à part le nom, entreront en jeu et s’agiteront dans les consciences.

Et. chez les seconds que se passem-t-il ? Le nom suggérera aussi une image sensible. Ils se représenteront plus ou moins nettement un homme déterminé que leur imagination leur fournira dès l’instant, ou que le souvenir d’une figure antérieurement imaginée, lorsqu’on leur avait déjà parlé de M. X., leur offrira de nouveau. Une association se créera ou se renouvellera entre le nom, simple image verbale, et une représentation remplaçant le souvenir réel. Cette association, on peut l’affirmer, se produit presque toujours et spontanément. Dès que nous nous intéressons à quelqu’un, nous nous en figurons un simulacre, nous nous forgeons un type concret qui tient lieu des perceptions que ce quelqu’un aurait pu effectivement susciter en nous. Souvent même, la fiction devient si intense qu’elle ne disparaît pas tout de suite au contact de la réalité et qu’elle entre en conflit avec elle. Voyez, notamment, ce qui advient quand les enfants apprennent l’histoire, quand, encore jeunes, nous lisons Plutarque, quand le public se passionne pour un homme célèbre. Chacun se façonne à sa guise une image du héros qui l’émeut et tient bientôt plus à sa fiction qu’à la réalité. Et c’est un véritable désappointement qui se manifeste lorsqu’ensuite on découvre un portrait authentique du grand homme de jadis ou lorsqu’on rencontre le contemporain illustre. « On se l’était figuré autrement », expression fréquente de la désillusion qui se produit alors et qui prouve assez la force de l’association entre le nom et l’image spontanée ; celle-ci refusant de céder la place à la perception rectificatrice. Dans l’exemple choisi, nous admettrons donc, sans craindre de démentis expérimentaux, que chacun, en pensant à M. X., a dans la conscience, en plus du nom, une image sensible, faible ou forte, indécise ou précise, mais présente, et révélable à l’attention qui la renforce. Le nom propre n’a que la valeur d’un signe. H est le premier terme d’un couple, dont le second terme jusqu’à présent le plus important est une image. De même, le cri d’une chouette ou le sifflet d’une locomotive entendus dans la campagne