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18 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

On voit à quoi se réduit la prétendue modestie de Kant. Par les termes mêmes dans lesquels il pose ce problème et sous couleur de prudente réserve, il se décide implicitement en faveur du réalisme. Il confère à une affirmation gratuite un injustifiable privilège. Contrairement au prëeepte d’Occam non multiplicanda entia. c’est aux idéalistes purs qu’il impose Yonus probandi. A eux désormais de prouver que la chose en soi n’existe pas ; tâche d’autant plus ingrate que ce terme n’est pas défini ou ne l’est que par des négations. Quoi qu’il en soit, c’est du point de vue de l’agnosticisme que Kant définit le dogmatisme. Est dogmatique quiconque prétend déterminer la chose en soi, connaître l’inconnaissable. Le dogmatisme peut d’ailleurs affecter deux formes. Il peut, alléguant une intuition suprasensible ou une révélation interne, se flatter de pénétrer, par delà les limites du monde phénoménal, dans le sein de la réalité nouménale. C’est là, pourrait-on dire, le dogmatisme mystique ; celui des visionnaires et des métaphysiciens. II peut aussi ériger naïvement la réalité sensible en réalité absolue, identifier le phénomène et le noumène. C’est alors le dogmatisme empirique, celui du vulgaire et des savants étrangers à la philosophie. Les matérialistes tombent dans cette seconde erreur ; la première à été celle de Platon, de Descartes et de leurs disciples. Ces deux erreurs proviennent d’un commun défaut de critique, d’un usage irréfléchi des principes de la connaissance. Elles ont pour cause la confusion, naturelle mais illégitime, de l’absolu et du relatif. Les uns attribuent une réalité intrinsèque à ce qui n’est réel que pour nous, les autres confèrent aux principes a priori de l’entendement une valeur inconditionnelle, tandis qu’ils ne valent réellement que dans les limites de notre expérience.

Quelle que soit la faiblesse interne du réalisme kantien, on ne saurait méconnaître la valeur de ces critiques. Il est certain que le réalisme empirique,, prenant son point de départ hors de la pensée et prétendant expliquer le sujet par l’objet, commet un véritable cercle vicieux, l’objet n’ayant sa déterminaison que dans et pour la pensée. D’autre part, toute métaphysique qui, tenant pour d’indiscutables axiomes les principes de l’entendement, en poursuit l’application inconditionnelle, méconnaît la relativité des, catégories, ignore leur place et leur fonction dans le système de la raison. En dernière analyse elle réduit la raison elle-même à une collection de notions respectivement indépendantes, et comme toutes, au même titre, se