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vidus en un mot, dont l’identité persiste à travers leurs réactions mutuelles, bien mieux, s’affirme et se détermine par ces réactions mêmes, de sorte que le changement perpétuel et universel des choses s’explique par leur activité incessante et par leurs relations toujours renouvelées. Or, pour pouvoir agir les unes sur les autres, et réagir d’une manière propre et originale, il faut que les choses ne soient pas simplement les modalités éphémères d’un être unique, mais des êtres réellement distincts, centres et sources inépuisables d’activité, doués de modes d’action et de réaction caractéristiques. Et voilà pourquoi le monde nouménal est une société de monades, une république d’individus à la fois indépendants et solidaires les uns des autres.

Nous ne suivrons pas l’auteur dans l’éloquente exposition où il développe son système du monde nous préférons renvoyer le lecteur à ces belles pages, d’une inspiration si élevée et d’une pensée si puissante. Notre ingrat métier de critique nous défend de nous laisser séduire par ces spéculations brillantes, et nous oblige à en discuter les principes. Or le point de départ de cette conception métaphysique est la réalisation de la catégorie d’action réciproque, fondée elle-même sur la valeur transcendante qu’on a attribuée au principe de causalité. Il faut rechercher et examiner avec soin les raisons de cette grave infraction aux règles de la Critique. II ne suffit évidemment pas de montrer que le principe de causalité n’a pas de valeur scientifique pour lui conférer d’emblée unewaleur métaphysique. Mais, comme les formes de la sensibilité, les formes et les principes a priori de l’entendement, tout subjectifs qu’ils sont, ne laissent pas d’avoir pour notre auteur une certaine valeur objective car, pour que nous puissions penser, il ne suffit pas qu’une

̃̃̃ matière nous soit donnée, ni même qu’elle soit disposée à entrer

dans les cadres de l’intuition ; il faut encore qu’elle « se prête » à ’l’application des catégories. Nous ne pourrions mettre de l’ordre dans nos perceptions, si le désordre ou le hasard régnait dans la réalité ; et si notre expérience est conforme à des lois déterminées, c’est que les choses en soi ont aussi leurs lois, dont les nôtres sont la traduction symbolique. Soutenir le contraire, à savoir que la matière de la connaissance est par elle-même indéterminée, et qu’il est indifférent qu’elle obéisse à un ordre quelconque, ce serait, selon notre auteur, méconnaître le rôle indispensable de la sensibilité et réduire toutes nos facultés de connaître au seul entendement ; ce serait