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306 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

idée ; elle n’offre rien de contradictoire, ni d’incompréhensible ; et elle se forme comme toutes les autres. Mais ce n’est pas de cette idée, de cette unité générale, que nous avons besoin ici. Elle appartient encore à la dialectique du coordonnable, et, loin de servir à mettre en relief l’absolu, elle n’en laisse qu’une forme presque vide.

Malheureusement, il est moins facile d’obtenir l’unité qui résulte de l’élimination du coordonnable. Le mouvement de la vie psychique n’y porte pas naturellement ; au contraire, il en détourne. Tandis que l’élément incoordunnable s’use dans les rapports qui s’établissent entre les faits de conscience, l’élément coordonnable demeure. Si donc nous voulons nous en débarrasser, il faut aller en quelque sorte au rebours des choses. La tentative n’est pourtant pas désespérée. Voici, au lieu de faire disparaître l’absolu, nous nous hâterons de lui donner une grande importance dans la conscience, et l’élément opposé en sera repoussé dans la même mesure. Nous y parviendrons par l’accumulation des hors la loi dans la pensée, par l’effort d’en saisir le plus grand nombre possible en un seul acte intellectuel. Dominée, accaparée, par l’absolu, la conscience se fermera à toute autre chose. Elle n’aura plus de place pour l’élément de coordination. Ce sera une véritable abstraction, non plus par extinction, mais par refoulement. Demande-t-on comment l’absolu peut être pensé en cet état de séparation ? Jusqu’ici, en effet, la possibilité de penser l’absolu n’était pas en question. Lié à son opposé, l’absolu ne se présentait pas comme un objet de pensée, mais seulement comme l’élément prédominant d’un objet de pensée. C’est en un sens large que nous parlions de la vision de l’absolu, de la perception de l’absolu. A parler rigoureusement, cette vision ne pouvait être que celle de choses concrètes mettant l’absolu en évidence. Maintenant l’absolu doit être pensé sans son opposé, et cela soulève aussitôt une difficulté. J’accorde que la pensée de l’absolu est indépendante des catégories scientifiques, et qu’il faudrait bien se garder deî’emprisonner même dans celles de temps et d’espace* de sujet et d’objet ; j’accorde aussi que la pensée en général n’est pas nécessairement conditionnante au sens où Hamilton l’a entendu ; encore enveloppe-t-elle une relation et suppose-t-elle à la fois de la ressemblance et de la différence. La pensée de l’absolu n’est donc possible que si l’on ne pousse pas l’abstraction jusqu’au bout. Mais, en réalité, c’est ce qui arrive. L’abstraction n’est jamais rigoureuse.