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344 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

tâchons de mesurer la profondeur de notre néant, et pour cela, commençons par démontrer que nous ne sommes pas des êtres réels, mais de simples phénomènes, et partant des fantômes. Un être réel est un être absolu, c’est-à-dire possédant une nature qui lui est propre et pouvant être identifié avec lui-même. Un tel, être est seul un vrai moi, seul il se possède véritablement. Nous autres, hommes, nous ne sommes des objets distincts que parce que nous nous apparaissons à nous-mêmes comme des objets absolus, possédant une individualité indépendante, une nature qui nous appartient, et que tout, dans notre vie intérieure, est organisé conformément à cette apparence. Mais ce n’est là qu’une apparence, et notre moi est, de son essence, illusoire. Commis individus, nous sommes nés et nous nous sommes développés en vertu de causes ou de conditions extérieures nous ne sommes donc en réalité que ce que les conditions extérieures nous ont faits. Bref, nous sommes des produits, et notre moi absolu est par conséquent une apparence ou un fantôme. Une seule preuve suffira pour établir cette vérité d’une manière indubitable. Notre moi repose entièrement sur la mémoire, c’est-à-dire.sur quelque chose qui est acquis, venu du dehors. Nous ne sommes quelque chose que par le souvenir de ce que nous avons été et de ce que nous avons acquis dans le passé. Otez à un homme toute mémoire du passé et toute connaissance des choses, et vous l’anéantissez. Il pourra encore sentir d’une manière confuse, mais il ne sera plus qu’un embryon d’être, et, pour devenir quelque chose, il devra se refaire à nouveau, se développer en un moi nouveau. Lefmode d’existence de notre moi est conforme à sa nature. Un être réel, possédant une nature qui lui est propre, ne peut avoir ni commencement ni fin dans le temps et reste toujours identiquement le même par son essence, il est en dehors du temps. Un simple phénomène, au contraire, a toujours son origine dans le temps, et ne parait durer qu’en se reproduisant sans cesse de nouveau comme la flammeld’nne bougie. Or, c’est là notre manière d’être. En effet, nous n’existons que par la conscience que nous avons de nousmêmes. Aussi personne ne veut-il se voir ou se reconnaître lui-même dansfquelque chose d’inconscient, et c’est même là, comme nous le verrons plus loin, le grand obstacle à la compréhension de la véritable immortalité. Or, la conscience de soi est une fonction qui ne dure qu’en s’exerçant ou en’ se reproduisant sans cesse. Notre manière d’être est donc semblable à celle d’une flamme ;