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Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/386

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382 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

de juxtaposer des choses. Mais ce ne sont encore des choses que pour la pensée à un moment de son développement, et si elles sont désignées de ce substantif uniquement à cause de la nécessité où elles sont, pour être comprises, d’être fixées, d’être affranchies des vicissitudes de notre existence mouvante, disons que toute science suppose en effet l’existence de choses à connaître. Qu’il soit en effet nécessaire d’arrêter le mouvement naturel de la représentation et, en fixant l’esprit, de fixer par là même ce qu’il considère, c’est ce qu’on ne saurait contester à moins de réduire la connaissance à n’être que le sentiment perpétuellement renouvelé de l’écoulement de l’univers. Si l’on peut réveiller en nous ce sentiment sans péril apparent pour notre savoir, c’est que ce sentiment vient s’ajouter, pour en marquer ou plutôt pour en estomper les limites, à une science déjà fermement constituée qui ne procède pas de lui. Et non seulement ce sentiment ne nous donne pas la forme vraie et idéale de ce que la science doit retrouver ; mais il est peut-être la matière informe que la science doit résoudre si elle veut procéder, non’par vues pittoresques, mais par raisons explicatives. Le seul moyen qu’elle ait de se reconnaître dans le devenir du monde, c’est d’y marquer des éléments ou des moments, c’est de se dégager de la tendance naturelle qu’a la représentation à les donner comme composés et unis, par là même de les poser dans une certaine mesure comme des choses indépendantes, sur lesquelles l’intelligence peut et doit insister. L’analyse intellectuelle n’est donc pas un simple prolongement de cette analyse pratique qu’opère le corps en vue de l’action ; elle a plutôt pour effet d’en corriger et souvent d’en contredire les résultats. Elle suppose que les parties perçues de l’univers n’en sont pasles véritables éléments, que la réalité de la matière doit être expliquée, non pas à partir de ce que nous en saisissons, mais à partir de ce que nous en concevons clairement. Et il ne sert à rien d’objecter que des éléments ainsi intellectuellement constitués sont à jamais incapables de nous redonner par voie de recomposition le tout du monde matériel ; car ce serait toujours attribuer à l’intellectualisme la thèse qui ne lui appartient pas, et suivant laquelle la pensée totale ou la pensée du tout n’est que la somme ou le produit des opérations par lesquelles elle a décomposé son objet. L’intellectualisme n’abdique pas, il prend plutôt conscience de sa véritable signification quand il reconnaît que le réel est essentiellement et indivisiblement un, que les actes successifs d’abstractions par lesquels la